Parfois je la vois comme une ligne droite
tracée avec un crayon et une règle
traversant le cercle du monde
ou comme un doigt perçant
un rond de fumée, désinvolte, curieux,
puis le soleil se lèvera
ou le téléphone sonnera
et je cesserai de me demander
si c’est une chose,
un gros ballon d’air et de mémoire,
ou toutes sortes de choses,
une succession de petites villes rurales,
une route sombre qui les traverse.
Disons que c’est un champ,
que je laboure chaque jour,
que je laboure en chantant,
où ensuite je me couche dans l’un des sillons,
ou bien, maintenant qu’elle est à moitié passée,
une porte entrouverte,
de la pluie ruisselant des gouttières.
Comme la tienne, cela pourrait être n’importe quoi,
un nid avec un oeuf,
un corridor menant à mille pièces,
tout ce qui se met à flotter dans l’espace
quand je ferme les yeux
ou quand je regarde à la fenêtre
plus de quelques minutes,
si bien que certains jours je me dis
que c’est tout et rien à la fois.
Mais ce matin, assis sur mon lit,
portant mon pull noir et mes lunettes,
les rideaux tirés et les fenêtres ouvertes,
Je suis un lac, mon poème est une barque vide,
et ma vie est la brise qui souffle
à travers toute la scène
faisant osciller tout ce qu’elle touche,
la surface de l’eau, la voile tremblante,
même les lourds arbres feuillus le long du rivage.
*
My Life
Sometimes I see it as a straight line
drawn with a pencil and a ruler
transecting the circle of the world
or as a finger piercing
a smoke ring, casual, inquisitive,
but then the sun will come out
or the phone will ring
and I will cease to wonder
if it is one thing,
a large ball of air and memory,
or many things,
a string of small farming towns,
a dark road winding through them.
Let us say it is a field
I have been hoeing every day,
hoeing and singing,
then going to sleep in one of its furrows,
or now that it is more than half over,
a partially open door,
rain dripping from the eaves.
Like yours, it could be anything,
a nest with one egg,
a hallway that leads to a thousand rooms—
whatever happens to float into view
when I close my eyes
or look out a window
for more than a few minutes,
so that some days I think
it must be everything and nothing at once.
But this morning, sitting up in bed,
wearing my black sweater and my glasses,
the curtains drawn and the windows up,
I am a lake, my poem is an empty boat,
and my life is the breeze that blows
through the whole scene
stirring everything it touches—
the surface of the water, the limp sail,
even the heavy, leafy trees along the shore.
***
Billy Collins (né en 1941 à New York) – Picnic, Lightning (University of Pittsburgh, 1998) – Traduit de l’américain par Stéphane Chabrières.