(Note de lecture), revue Bébé, Tu performes ?, par Yves Boudier

Par Florence Trocmé


Dans ce deuxième numéro, Bébé « interpelle certains auteurs, performeurs, artistes, pour des réponses multiples, des pistes de réflexion, ouvrir des champs. »
Vingt et une performances en cent-treize pages et soixante-seize photos. Pas d’édito ni de commentaires, mais des réponses en actes, en textes et en images à la question lapidaire dont le point d’interrogation renforce paradoxalement l’affirmation, comme si cela relevait de l’évidence, à proprement parler de ce qui se voit et s’entend : Oui, je performe, et « C’est le seul moment où l’art existe » selon Terry Fox, cité par Patrice Lerochereuil dans un texte historico-synthétique où l’on retrouve, empruntée à Merleau-Ponty, cette presque définition parfaite de la performance : « forme visible de nos intentions ».
Ce qui est marquant dans ces pages, c’est le sérieux de ces différentes entreprises poétiques, souvent décriées ou associées aux derniers feux des utopies provocatrices des années soixante. Le sérieux à la fois de l’acte et de la réflexion, qu’elle soit implicite et porteuse du geste ou objectivée dans un discours des plus construits, par exemple celui de Richard  Martel : « Les relations sont au centre du dispositif performatif parce qu’il y a une sorte d’équilibre social à façonner, une esthétique collective à assumer, une collectivité à cimenter par une mise en commun ; (…) une destitution des normalités, (…) ce qui présuppose le réflexif. Un déclencheur et un interrogatoire tout à la fois ! ».
Rapide retour arrière, avec Akenaton, par exemple, qui depuis les années quatre-vingt, affirme que le choix de transgresser les codes, aussi bien plastiques que poétiques, passe par la volonté de « sortir des limites de la langue verbale et de se confronter à des cultures et des pratiques trans-nationales ». Toutefois, au-delà de la seule lecture performative d’un texte, d’un poème, il convient, pour les performeurs dans leur ensemble, que l’essentiel de l’acte relève de « l’urgence de dire » (Chiara Mulas), de créer des « manœuvres par immixion, par dissémination, par meute » (Alain-Martin Richard), de « désirer être avec d’autres, dans un lieu et un moment, dans la joie » (Valentine Verhaeghe). On sent fortement là le pouvoir de l’ici et maintenant, de la rencontre entre un public et un artiste, rencontre dont l’un des buts est de questionner cette classique partition des rôles, jusqu’à parfois brouiller des frontières qui deviennent espaces de création dans le meilleur des cas. Giovanni Fontana, à travers une dizaine de pages serrées, souligne vivement et avec une conscience forte de l’évolution historique des formes depuis l’Antiquité, la nécessité pour le texte poétique de vivre « dans une dimension espace-temps », d’être « un lieu d’intersections différentes », de manifester une structure « polyphonique, intermédiale et interlinguistique », de relever de ce qu’il nomme une « poésie épigénétique ». Bartolomé Ferrando quant à lui, ajoute agir : « depuis [son] corps entendu comme un matériau, éloigné du concept de corps-acteur », alors que Charles Dreyfus-Pechkoff précise : « Le corps, support des abstractions conceptuelles, du langage », pour offrir cette autre approche : « La performance, topos d’innovation, expression de l’être devant l’autre, de l’autre de lui-même à l’autre ».
La question reste ouverte de savoir comment « poésie, poème », termes comme on le sait quasiment incontournables, voire inusables, concernent encore ces différentes pratiques dont paradoxalement elles sont pour la plupart issues. En tous cas, quel que soit le regard critique que l’on peut porter sur « la performance », ce numéro de Bébé aide à la fois à mesurer l’importance historique de ces modes de création et, somme toute, d’être séduit par l’ancrage réflexif lucide et raisonné des acteurs de ce continent de la… poésie.
Yves Boudier
Revue BÉBÉ, Tu performes ?  Revue annuelle, livraison 2019, 20 €.
La revue est conçue et réalisée par Nadine Agostini et François Bladier.