Étrange titre pour un spectacle enthousiasmant : un peu mathématique, un peu géométrique, insistant sur la forme, et bien sûr pictural. Chantal Loïal et la Compagnie Difé Kako sont allées chercher la danse où elle est née sous ces formes : carré, quadrille, cercle… Formes que l’on trouve encore dans les danses d'aujourd'hui. Et cherchant dans les patrimoines, elles font émerger un spectacle nouveau, nourri non des traditions mais des pratiques mouvantes : l’arrivée de l’accordéon et des percussions dans la musique du quadrille antillais, par exemple, montre bien que tout bouge et se transforme. Par la rencontre.
Chantal est habitée depuis longtemps par cette idée de créolisation qu’a exprimée Édouard Glissant. Née en Guadeloupe, elle sait ce qu’est l’archipel, elle sait regarder d’île en île. Elle prend les usages avec respect, les inscrit dans le présent et ne craint pas de poser les questions d’aujourd’hui : les costumes sont le résultat d’un savant accord entre hip-hop et biguine ; les genres sont aussi interrogés (hauts-talons, coiffes ne sont pas réservés aux femmes) ; l’histoire est également présente. Et ça tourne : les poignets, les têtes, les pieds, les bassins, ça « balance à la voisine », se touchant, sans toucher, jouant, écoutant. La musique est sur la scène, comme souvent dans les pièces de Chantal Loïal, parce qu’elle fait partie intégrante de la danse. Et la parole aussi : celle qui donne les indications, qui compte, et celle qui raconte, qui dit l’histoire. L’histoire de celles et ceux qui, d’où qu’ils viennent, quels qu’ils soient, sont ensemble dans des corps façonnés par les siècles, sur le plateau et dans la salle.
Et qu’on ne l’oublie pas ! Et qu’on poursuive ces échanges d’ici à là, de toi à moi, d’âge en âge, d’île en île : « La créolisation exige que les éléments hétérogènes mis en relation « s’intervalorisent », c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de dégradation ou de diminution de l’être, soit de l’intérieur, soit de l’extérieur, dans ce contact et dans ce mélange. » (Édouard Glissant)
Et si ça tourne rond, c’est toujours ouvert. Dans le spectacle que j'ai vu à Suresnes, un groupe de danses antillaises d'Argenteuil a trouvé sa place, s'inscrivant dans cette ouverture.
J'ai vu cette création (photo Dan Aucante) dans le cadre de Suresnes Cités Danse 2019.