Quatrième de Couverture
« c’est père,
snif, il veut s’en aller »
Mon avis
Dès le départ, on sait que l’histoire n’a rien de bucolique, qu’elle va nous entraîner dans un tourbillon triste, amer. Et ce n’est pas tant le fond qui importe ici mais bien la forme : à travers des phrases courtes, saccadées, à la ponctuation inhabituelle, Fabienne Yvert nous offre un exercice de style tout autant déroutant que touchant juste. On se glisse dans la peau de ce regard d’enfant qui voit peu à peu son monde s’écrouler.
Le titre décomposé en trois parties est finalement le sommaire des trois grands chapitres du livre. Le départ du père annonce la couleur : l’homme hésite. Il ne supporte plus sa vie, il veut tout arrêter, partir, recommencer. Mais pourquoi et surtout, pour quoi ? Il hésite. Il tergiverse, cherche des excuses, se décide, renonce, recommence. Et tout le drame de cette phase vient du fait que l’enfant est spectatrice de cette crise, spectatrice de la ronde saccadé de son père, de la réaction de sa mère. Elle ne comprend pas et se demande ce qu’elle a bien pu faire pour que, finalement, son père ne fasse pas le choix de rester auprès d’elles, sa famille.
Ensuite, vient l’étiolement de la mère, cette mère qui s’était enfermée dans cette vie, qui se sent trahie et abandonnée et qui en veut à son mari. Qui oublie de faire bonne figure face à son enfant et qui, dans sa descente aux enfers, l’entraîne dans ses réflexions, sa rancœur, sa paranoïa flirtant avec la dépression. Nouvelle phase du déchirement de cette famille où la mère perd pied et où l’enfant reste encore la spectatrice.
Enfin, c’est la mort qui s’invite dans cette famille. La mémé meurt, disparaît, pour toujours. Et l’enfant décrit des dizaines de morts différentes, comme pour reprendre les différents scénarios mis en place par son père pour justifier son départ. La mort comme le départ sont les finalités pour cette enfant, les causes ne sont accessoires, elles peuvent être multiples, l’essentiel reste le résultat qui, lui, ne varie pas.
À travers ces trois parties, c’est toute une famille qui s’écroule, sous les yeux de la petite fille qui, finalement, comprend l’essentiel : peu importe la raison, la cause, c’est le résultat qui importe, c’est lui qui va la construire, de travers, sûrement. Pourtant, les causes nous semblent toujours avoir une influence sur notre façon de vivre le résultat : ici, Fabienne Yvert nous montre que c’est dans nos esprits d’adultes que nous cherchons à comprendre les causes, le pourquoi du comment alors que la finalité reste la même. À quoi bon le « pourquoi » puisque ça ne change rien au « maintenant » ?
Malgré la tristesse de cette histoire, c’est une belle leçon qui est à tirer de ce regard d’enfant, de cette petite fille qui se moque des excuses, des causes d’une mort, des tenants et aboutissants : dans tous les cas, son père n’est plus là, sa mère n’est plus que l’ombre d’elle-même et sa mémé est morte.
Un petit roman étrange à la lecture dans le bon sens, au rythme saccadé et inhabituel se mariant à la perfection avec son sujet et à la morale forte et profonde.
Citations
« Papa est parti hier, papa part tout à l’heure, il emballe quelques affaires, papa part demain, en faisant semblant d’aller travailler normalement, papa part dans trois mois après avoir donné un préavis réglementaire à maman, papa part quand il sera majeur, papa part dans neuf mois, quand il sera sûr que maman n’a pas d’autres enfants, papa part dans un an et un jour, sa décision lui appartiendra. »
« elle est pompée, elle nous pompe, elle nous pompe l’air, elle m’énerve, elle a les nerfs, elle a les dents pointues, elle a la hargne, elle a chopé l’angoisse, elle nous file l’angoisse, c’est une angoisse vivante, c’est pas la joie
mais elle fait sa prière tous les soirs »
« Elle est morte dans son lit-bateau, c’est plus pratique pour la navigation éternelle. Elle est morte dans le poulailler, son âme s’est collé des plumes et s’est envolée. »