Présentation de l’éditeur :
Dans une véranda cousue de courants d’air, en retrait d’un village sans électricité, s’organise la vie de Matthias et d’un homme accidenté qui lui a été confié juste avant l’hiver. Telle a été l’entente : le vieil homme assurera la rémission du plus jeune en échange de bois de chauffage, de vivres et, surtout, d’une place dans le convoi qui partira pour la ville au printemps.
Les centimètres de neige s’accumulent et chaque journée apporte son lot de défis. Près du poêle à bois, les deux individus tissent laborieusement leur complicité au gré des conversations et des visites de Joseph, Jonas, Jean, Jude, José et de la belle Maria. Les rumeurs du village pénètrent dans les méandres du décor, l’hiver pèse, la tension est palpable. Tiendront-ils le coup ?
C’est avec une grande curiosité que j’ai retrouvé le personnage central du Fil des kilomètres, blessé, broyé par l’accident de voiture qu’il a subi à la fin du premier roman de Christian Guay-Poliquin. Après la chaleur écrasante de la route et le huis-clos d’une voiture, voici l’hiver et son cortège de neige, de glace, de froid intense et une véranda pour huis-clos, espace fermé que l’on peut élargir aux dimensions de ce village perdu, toujours privé d’électricité, coupé de tout et dont plusieurs habitants cherchent à partir à tout prix.
Dans la véranda, les jours défilent et se mesurent en centimètres de neige. Au cortège de l’hiver se mêle le ballet des sentiments, amplifiés par la solitude et le manque. La description de la douleur physique du narrateur m’a subjuguée au début. Ensuite j’ai été happée par l’évolution de a relation entre lui et Matthias, le vieil homme qui le soigne en échange d’un hypothétique retour à la ville, cependant que la nature sauvage et grandiose déploie son manteau de neige comme un linceul.
Comme le fil d’Ariane sous-tendait le premier roman, c’est le mythe de Dédale et Icare qui est ici en filigrane. De Mathias et du narrateur, qui est Dédale ? qui est Icare ? La réponse ne vient qu’à la fin, quand la neige finit par desserrer son étreinte. Mais il y a aussi d’autres références avec tous ces personnages qui portent tous ou presque un prénom de personnage biblique en J (Jonas, Joseph, Jude sans compter Matthias et Maria – et notre narrateur toujours anonyme) et l’allusion au récit de Jonas dans le ventre de la baleine. J’ai trouvé le tout passionnant, une fois de plus servi par l’écriture épurée de Christian Guay-Poliquin.
« C’est l’hiver. Les journées sont brèves et glaciales. La neige montre les dents. Les grands espaces se recroquevillent. »
« Les histoires se répètent…Nous avons voulu fuir le sort qui nous était réservé et nous voilà englouti par le cours des choses. Avalés par une baleine. Et très loin de la surface, nous espérons qu’elle nous recrache sur le rivage. Nous sommes dans le ventre de l’hiver, dans ses entrailles. Et, dans cette obscurité chaude, nous savons qu’on ne peut jamais fuir ce qui nous échoit. »
« Je connais pourtant ce décor par cœur. Je l’observe depuis longtemps. Je ne me souviens plus vraiment de l’été, à cause de la fièvre et des médicaments, mais j’ai vu le lent mouvement du paysage, le ciel gris de l’automne, la lumière rougeoyante des arbres. J’ai vu les fougères se faire mâcher par le givre, les hautes herbes casser à la moindre brise, les premiers flocons se poser sur le sol gelé. J’ai vu les traces laissées par les bêtes qui inspectaient les alentours après la première neige: Depuis, le ciel n’en finit plus d’ensevelir le décor. L’attente domine le paysage. Et tout a été remis au printemps. C’est un décor sans issue. Les montagnes découpent l’horizon, la forêt nous cerne de toute part et la neige crève les yeux.
Regarde mieux, lance Matthias.
J’examine la longue perche que Matthias vient d’installer dans la clairière. Je remarque qu’il l’a minutieusement graduée. C’est une échelle à neige, annonce-t-il triomphalement. Avec la longue-vue, je peux voir que la neige atteint quarante et un centimètres. Je considère la blancheur du décor pendant un instant, puis me laisse choir sur mon lit en fermant les yeux.
Merveilleux, me dis-je. Nous allons désormais pouvoir mesurer notre désarroi. «
« Il doit être près de midi. le froid semble avoir desserré son emprise sur le paysage, pour reprendre des forces.En attendant, la neige continue de tomber sans que rien puisse l’arrêter. Les flocons sont larges et délicats. On dirait qu’ils ont été découpés dans du papier. »
« La tempête de neige hurle. On dirait qu’elle s’impatiente à l’idée de me recouvrir, de m’étreindre, de se refermer sur moi. Qu’elle salive avant de me dévorer.
Je me recroqueville pour conserver la chaleur. Je suis comme tout le monde. Je suis incapable d’admettre la possibilité de ma propre mort.
Je tente de rester calme et ma respiration s’accélère. Je ne peux pas rester là. Je dois repartir.
La neige est un lit de cristaux tranchants.
Il faut que je me relève, mais le froid me retient.
J’ai peur. Je refuse de finir comme ça, replié sur moi-même, le visage au sol.
Je rassemble mon courage et me retourne sur le dos, les bras en croix, les paumes vers le ciel.
Autour de moi, les ténèbres rôdent.
La nuit a faim. Et les flocons sont carnivores. »
Christian GUAY-POLIQUIN, Le poids de la neige, Editions de La Peuplade, 2016
L’avis de Marilyne, de Karine, de Kathel et d’Aifelle
Lecture d’hiver qui s’enchaîne naturellement avec Du bon usage des étoiles. (Ca sent la série.)
En 2019 je lis un livre québécois par mois (ou presque) – En janvier, un livre de La Peuplade
Challenge Petit Bac – Objet québécois