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(Hommage) à Baptiste-Marrey, par Patrick Beurard-Valdoye

Par Florence Trocmé

(Hommage) à Baptiste-Marrey, par Patrick Beurard-ValdoyeL'auteur de poèmes, de romans et d'essais Baptiste-Marrey nous a quittés ce 22 janvier 2019. Il venait d'avoir 91 ans.
Je me remémore un séminaire en Allemagne au milieu des années quatre-vingt. L'Office franco-allemand pour la Jeunesse avait réuni des responsables français et allemands, experts en politiques artistiques, pour réfléchir à de futures manifestations bilatérales. Le directeur du programme artistique, Horst Wegmann, qui avait sans doute trouvé un modèle quasi idéal de jeune artiste militant d'échanges européens, m'invita aussi.
Les discussions allaient bon train, d'un langage diplomatique et feutré - et pour tout dire plutôt ennuyeux - quand soudain Baptiste-Marrey prit la parole : "Je viens de lire La nouvelle alliance de Prigogine et il serait bon que tout le monde le lise".
Cette déclaration dans un tel contexte, décentrée et quelque peu provocante, laissa perplexe, mais me toucha d'autant plus que j'étais en train de lire le passionnant ouvrage de Prigogine et Stengers.
Baptiste-Marrey avait une vaste connaissance de l'Europe, de la culture européenne, dont il chercha à restituer dans son œuvre une mémoire collective. Il fut d'ailleurs expert auprès du Conseil de l'Europe. Ses livres témoignent de cet intérêt et de ses voyages comme Carnet des îles (Le temps qu'il fait, 1995). Le roman Les Papiers de Walter Jonas (Actes Sud) a pour cadre Vienne, la musique de Gustav Mahler, son disciple le chef d'orchestre Bruno Walter. Quand je lui avais demandé si ce Jonas était un clin d'œil au Jonas de Jean-Paul de Dadelsen, il répondit qu'il n'y avait à l'époque pas songé.
Je me remémore la parution de Bach en automne, édité par Baptiste-Marrey au Temps qu'il fait (1995). Ce recueil de textes et poèmes de Jean-Paul de Dadelsen révélait, grâce aussi à une postface incisive, une nouvelle image du poète d'origine alsacienne. Elle mettait l'éclairage sur une poésie "étrangère" au champ poétique français, du fait notamment de sa préoccupation pour l'oralité, et d'influences des poésies de langue allemande et anglaise.
Baptiste-Marrey fut le typographe de la mémoire dadelsennienne. Son parcours et ses amitiés devaient l'y conduire.
Il fut proche d'Albert Camus dans les années cinquante ( Albert Camus, un portait, Fayard, 2013). C'est Camus qui apporta les poèmes de Jean-Paul de Dadelsen chez Gallimard. Et c'est Camus qui mit en contact le jeune typographe avec Michel Saint-Denis, arrivant tout juste à Strasbourg pour fonder le Centre dramatique de l'Est, l'ancêtre du T. N. S.
Michel de Saint-Denis, on l'a oublié. Pas Baptiste-Marrey, qui édita aux éditions de l'Aube (2004) Deux jours avec Churchill, souvenirs stupéfiants de l'homme de théâtre préparant avec Churchill ses discours, les améliorant. Son célèbre "Français, c'est Churchill qui vous parle" à la BBC est de lui. Dans sa postface, Baptiste-Marrey évoque le talent de Saint-Denis fondant et dirigeant l'Old Vic à Londres, puis dirigeant le programme français de la BBC, nommé là par Churchill pour tempérer la "fougue gaulliste". C'est dans ce cadre que Saint-Denis et Jean-Paul de Dadelsen devinrent amis.
Baptiste-Marrey fut donc neuf ans secrétaire général du Centre dramatique de l'Est, y rencontra Alix Romero, comédienne, son épouse. Il contribua à la mythique décentralisation théâtrale, suant le labeur dont témoigne le poème L'autocar :
[...]
Chauffeur toute une nuit sous le car à réchauffer
flamme nue le gasoil.
Col vosgien bloqué par le verglas (et descente
sur les fesses jusqu'à l'hôtel).
Fous rires et scène - pour rien, une réplique ratée -
et pipi dans sa culotte,
et nouveaux fous rires.
Entrées et sorties en Suisse, cités du Jura fancophone, très peu bernois
helvétiquement propre.
Bon public, et douanes suspicieuses (pèsent les programmes à l'entrée et à la sortie)
Retour "chez nous". Pompiers. Sous-Préfet. Mr. le maire. Vin d'honneur. Kugelhhof ici.
[...]
Il poursuit cette activité de théâtre et de médiateur culturel sur le terrain d'abord, en Alsace et en Picardie, puis en région parisienne, comme en témoigne le courroucé et émouvant Des belles utopies aux dures réalités, parcours d'un militant culturel (Obsidiane, 2017). Puis il entre au Ministère de la Culture, où il devient Inspecteur général des Spectacles jusqu'en 1991. On le voit également impliqué dans la politique du Livre et de la Lecture publique (Commission Pingaud ; groupe L'Hélicon ; les colloques des "3 P"). Éloge de la librairie avant qu'elle ne meure paraît au temps qu'il fait en 1988.
Car Baptiste-Marrey ne ménageait pas ses mots, ni son regard critique à l'égard des tentatives destructrices, qu'il s'agît de son quartier d'enfance à Paris, des fossoyeurs de politique culturelle, ou des amnésiques finalement complices. Il était hanté par le constat d'être témoin de pans culturels en voie d'extinction. "C'est angoissant, cette ville qui meurt, là, dans l'indifférence" écrit-il de Nicosie dans ses carnets. Il en avait fait le cœur de son œuvre : sauver, sauver, témoigner avant qu'il ne soit trop tard. Il craignait même que son message ne fût plus entendu. Dans ce sens l'on peut lire Petit traité de dissidence spirituelle (Tarabuste, 2014).
Après avoir rencontré les témoins qui avaient connus Jean-Paul de Dadelsen (le poète alémanique Nathan Katz ou la veuve Barbara et ses filles à Zürich), rassemblé la documentation indispensable pendant qu'il était encore temps, initié d'improbables - et pourtant bien réelles - émissions de télévision consacrées à Jean-Paul de Dadelsen, enfin publié articles et études, il s'amusait à dire que nous étions parmi les derniers de la "secte des dadelsenniens".
Il fut d'une grande générosité, ne s'épargnant aucune peine pour répondre à mes questions, fournir les coordonnées de témoins ou d'acteurs européens, transmettre toutes ses connaissances, faire finalement un retour chaleureux à mes tentatives poétiques de ranimer - aux côtés d'autres - la mémoire dadelsennienne.
Je me remémore son ultime message, trois jours avant son décès, regrettant que son "état de santé ne permette plus d'apprécier toutes les finesses et les allusions" de mon texte, que je venais de lui envoyer. Car jusqu'au bout il tenait à se redresser ; à s'asseoir à son bureau ; à poursuivre lecture et écriture.

Patrick Beurard-Valdoye

Un hommage à Jean-Paul de Dadelsen et Baptiste-Marrey est prévu le 12 mars à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg.
On peut lire cet article de l'Yonne républicaine dont est extraite la photo.


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