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De François Pétrarque à Ugo Foscolo : une esquisse du lyrisme amoureux en Italie

Publié le 24 janvier 2019 par Frontere

Nombreuses sont, dans l’œuvre de Ugo Foscolo, les évocations nostalgiques des grâces du printemps si chères à Pétrarque 1 ; les fleurs et leurs couleurs, l’aurore :

Ici Flore revêtit ses plus belles couleurs,

Ici dansèrent les Grâces, et ici riante

Pour mirer ma bien-aimée sortit l’Aurore. 

Et ici la Lune quiète et resplendissante

Nous guetta, et rit ; et illumina cet arbre

Où niche un rossignol qui gémit tendrement ;

(…)

Ah ! la plus aimable Nymphe d’avril

Qui orne de tant de roses les crins de Flore

Ne lui serait point semblable en beauté.

(…) 2 

Fidèle à la ligne poétique de Pétrarque, Foscolo établit un rapport incantatoire entre
nature et célébration de la passion. Celle-ci garde la mémoire et la trace d’un amour brisé, ainsi que de la femme aimée. L’écriture transfigure la nature en “paysage amoureux”3 de la perte, en expression douloureuse d’un rêve irréalisé.

Il y a bien entre l’œuvre de Pétrarque et la démarche poétique de Foscolo un lien de
perte et de souffrance qui crée le “pétrarquisme foscolien”. Pétrarque et Foscolo sont deux
poètes de l’amour et de la mort qui voient disparaître avant l’heure les inspiratrices de leur
sentiment et de leur poésie.

1 Chez Pétrarque, la fraîcheur et la sérénité du printemps ne sont perçues qu’à travers le souvenir désolant de l’aimée disparue : « Zéphir nous revient, ramenant les beaux jours et sa douce famille de plantes et de fleurs, et Progné gazouillant, et Philomèle qui pleure, et le printemps blanc et vermeil. (…) Mais pour moi, hélas ! reviennent plus rigoureux les soupirs que tire du fond de mon cœur celle qui emporta les clefs au ciel avec elle (…) » (Zefiro torna, e ‘l bel tempo rimena, / e i fiori e l’erbe, sua dolce famiglia, / et garrir Progne et pianger Filomena, / e primavera candida e vermiglia. / (…) / Ma per me, lasso, tornano i più gravi / sospiri, che del cor profondo tragge / quella ch’al ciel se ne portò le chiavi (…) » François Pétrarque, Poésies : sonnets, canzones, triomphes, traduction complète de Ferdinand-Louis de Gramont, Paris, Paul Masgana Libraire-Éditeur, 1842, p.209.

2 Ugo Foscolo, Les souvenances, v.13-18.

3 Ève Duperray, L’or des mots: une lecture de Pétrarque et du mythe littéraire de Vaucluse des origines à l’orée du XXème siècle, Histoire du pétrarquisme en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p.41.

Foscolo évoque à plusieurs reprises une “Laure” dans Les souvenances :

Et j’aperçois le nom qui m’est cher ; et je vois la pierre

Où Laure s’assit, et je cours les prés

Qu’avec moi elle parcourut pas à pas.

L’oiselet découvert, lors que« Je t’aime »

Répliquais-je à Laure, on entendait

« Je t’aime je t’aime » parmi ses doux ramages.

Ô souvenance sacrée, ô bénigne image

De ma première félicité,

Que Laure envoie peut-être pour me consoler ;

(…)

Adieu disais-je à Laure, et Laure entre temps

Me fixait de ses lueurs,

Et aux adieux et aux sanglots répondait de ses pleurs…

(…)

Sous ce nom, que Foscolo a certainement emprunté au souvenir de la “Laure” de Pétrarque 4, la critique littéraire a voulu reconnaître la figure d’Isabella Teotochi Albrizzi. Si
l’on se situe dans la perspective du portrait de cette “Laure”, on peut dès à présent évoquer
la vision poétique de l’amour qu’a Foscolo, très proche de celle de Pétrarque :
Si Foscolo reconnaît une existence corporelle aux figures féminines qui parcourent ses
poèmes, c’est pour suggérer qu’elles incarnent le beau sublime, une beauté qui donne lieu à une vénération divine. Notons les différents détails précieux issus de l’imaginaire
pétrarquisant que l’on retrouve dans le portraits brossé par Foscolo dans Les souvenances ; les cheveux d’or, le regard, les yeux :

4 Laura de Noves (1310-1348) est probablement la femme aimée que Pétrarque célèbre dans son Canzoniere. Le poète aurait fait sa connaissance le 6 avril 1327, jour du Vendredi saint, à l’église Sainte-Claire d’Avignon. Personnification de la poésie, Laure est la figuration stylisée de l’amour idéal pour Pétrarque. Elle mourut le 6 avril 1348, durant l’épidémie de peste qui frappe l’Europe, provoquant l’immense douleur du poète.

Voici la plante qui lui donna les fleurs

Bienheureuses qu’elle cueillit, dont elle fit de ses doigts délicats

Bel ornement pour ses crins d’or.

 
(…)

Son regard avait la luminosité chère et modeste

De la Lune, ses mots avaient la grâce

Du chant d’un chardonneret au réveil.

(…)

Elles disséminaient des lis, et doux, et fixe

Était leur regard sur moi, qui tout autour

Du Paradis répandait les plaisirs.

Un certain raffinement du sentiment amoureux est perceptible. Dans cette
perspective de respect du code fondamental de la littérature courtoise, l’échange de regards est l’expression d’une rencontre atemporelle avec la figure féminine.


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