[Critique] LA MULE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

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Note:

Titre original : The Mule

Origine : États-Unis

Réalisateur : Clint Eastwood

Distribution : Clint Eastwood, Bradley Cooper, Michael Peña, Laurence Fishburne, Dianne Wiest, Andy Garcia, Alison Eastwood, Taissa Farmiga, Ignacio Serricchio, Cesar de Leon…

Genre : Drame/Adaptation

Date de sortie : 23 janvier 2019

Le Pitch :

Earl, un horticulteur octogénaire, fait face à d’importants problèmes d’argent. C’est alors qu’une opportunité très lucrative se présente : transporter des colis pour le compte d’un cartel de la drogue. Naïvement, Earl accepte et se renfloue rapidement sans éveiller les soupçons de ses proches. Alors que les allers-retours s’enchaînent pour le vieil homme, la DEA commence à s’intéresser à son cas. Histoire vraie…

La Critique de La Mule :

L’histoire de Leo Sharp, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale devenu, dans les années 80, transporteur pour un cartel mexicain, a donné envie à Clint Eastwood de revenir devant la caméra. La sienne en l’occurrence. La légende est ainsi de retour, à 88 ans, au service d’un récit lui permettant d’aborder des thématiques récurrentes de son cinéma. L’occasion également de faire oublier son précédent film, le franchement maladroit Le 15h17 pour Paris, et de renouer avec la verve de Gran Torino, son dernier chef-d’œuvre en date…

Breaking (presque) bad

Dans Gran Torino, Clint apparaissait certes fatigué mais toujours alerte. Un film où il faisait un peu le bilan de ses années passées à incarner des anti-héros un peu rustres dans des productions burinées. Vieux mais vif et pas vraiment prêt à baisser la garde, Clint a fait de Gran Torino une sorte d’oeuvre-somme, tragique et passionnante, à la gloire de sa propre légende. Avec La Mule, c’est différent. Il apparaît à l’écran usé et en décalage avec son époque. Son personnage est sans cesse confronté à un progrès qui l’a mis au chômage et à des problématiques dues à une existence passée loin des siens car autocentrée sur un travail chronophage. Si Eastwood a tenu à interpréter ce rôle, c’est, on s’en doute, pour régler cette fois ses comptes avec l’homme. Moins avec l’acteur. Le fait que sa fille dans le film soit interprétée par sa fille dans la vraie vie (Alison Eastwood) n’a bien sûr rien d’innocent, lui dont le succès, le travail et tout ce qui va avec l’ont forcément éloigné d’une famille que la vieillesse à plus que jamais mise en valeur. Earl, son personnage, n’a donc plus rien à perdre mais a par contre tout à gagner à faire la mule pour des trafiquants. Sans se poser de questions pour, dans un premier temps, pouvoir participer financièrement au mariage de sa fille, puis par la suite davantage pour toujours tenir un rôle plutôt que de se regarder dépérir un peu plus chaque matin, il continue pour se maintenir dans la partie. Pour avoir une chance de réparer ses torts. Pour enfin être présent, d’une façon ou d’une autre…

Redemption song

Sur des airs de crooners ou de chansons country, Earl parcourt les routes des États-Unis, le coffre de sa voiture de plus en plus chargé de cocaïne, à destination d’un endroit où l’attend une enveloppe de plus en plus épaisse… Eastwood filme ses trajets comme autant d’étapes d’un long processus de rédemption. Comme si chaque kilomètre avalé et chaque dollar gagné, quelque soit les répercutions de son job, pouvait rapprocher Earl de son but pas vraiment avoué, à savoir se racheter auprès de sa fille. Clint et son obsession pour cette thématique souvent présente dans son cinéma. La Mule est presque un condensé de quelques-uns de ses plus impressionnants tours de force. On retrouve cette forme de lassitude assortie d’une volonté d’aller néanmoins jusqu’au bout, comme dans Impitoyable alors que le jeu du chat et de la souris auxquels se prêtent l’agent de la DEA joué par Bradley Cooper et Earl, évoque Un Monde sans fin. De cow boy taciturne, Clint est passé de figure mystique en forme de réminiscence d’un genre oublié puis de figure d’autorité aux fêlures à peine visibles. Ici, il n’est qu’un homme. Un vieux monsieur, faible et pétri de regrets, bien obligé de faire face à sa propre condition et donc contraint de se défendre avec les seules armes à sa disposition.

On the road again

Mais La Mule est aussi un grand film sur l’Amérique. Celle d’hier et celle d’aujourd’hui. Clint est l’un des derniers de son espèce et il en a parfaitement conscience. Une légende vivante et bien vivante, dont le nouveau film, aussi mélancolique soit-il, sait aussi monter dans les tours pour mettre en avant une vraie maestria formelle et un dynamisme dingue. Il y a aussi cet humour, présent dès le départ, et cette légèreté propre à Earl, cet horticulteur peut-être plein de remords mais néanmoins prompt à profiter de chaque instant que la vie veut bien lui accorder. Ce n’est d’ailleurs pas si souvent que Clint s’est abandonné à ce genre de légèreté. Pas souvent qu’on a pu le voir se dandiner sur la piste de danse ou encore s’abandonner dans les bras d’une femme le temps d’une soirée alcoolisée en forme de récréation bien méritée. Là où La Mule fait très fort, c’est quand il change de tonalité, toujours avec une pertinence sans cesse renouvelée et toujours en prenant garde de ne pas tomber dans l’excès. Il nous fait rire puis nous cloue au sol, par la seule force d’un regard ou d’une tirade sur l’importance de la famille. Dénué de tout cynisme, le scénario de Nick Schenk (déjà au stylo sur Grand Torino) prend des risques et va en permanence de l’avant, avec beaucoup d’honnêteté et de cœur. Magnifiquement servi par une écriture complexe mais fluide, Eastwood peut faire ce qu’il fait de mieux. Des deux côtés de l’objectif. Bien entouré par des acteurs à son service, mais néanmoins dotés eux aussi de partitions leur permettant de briller. Clint peut être Clint. Le Clint qui se souvient avec sagesse. Le Clint qui s’accepte, avec son âge, ses rides, son corps décati et ses contradictions. Celui capable de nous arracher les larmes puis l’instant d’après, avec une désinvolture intacte, de nous soutirer un sourire.

En Bref…

Clint Eastwood signe avec La Mule un nouveau chef-d’œuvre. Un film passionnant de bout en bout, magnifiquement écrit et réalisé, vif et profond. Une odyssée en compagnie d’une légende qui a mieux à faire que de regarder trop longtemps dans le rétro, préférant filer droit devant, le regard vissé vers l’horizon… L’œuvre d’un géant. Du dernier des géants.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Warner Bros. France