J'évoquais il y a peu une de ces îles du bout du monde, étonnantes pour certaines et dont la rare production d'artefacts que les habitants du siècle passé ont réalisés a été collectée en contexte colonial, d'où sa présence dans nos musées occidentaux et notamment allemands.
Parmi elles, Wuvulu, anciennement île Matty (photo 1), est l’île la plus occidentale de l'archipel Bismarck, dans la province de Manus (groupe des Îles de l'Ouest) en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Pour la première fois en 1893, un vapeur de la Hernscheim Company s'y arrête afin de recruter de la main-d'oeuvre et c'est à cette occasion que son commandant, Ludwig Kärnbach collecte 37 objets qu'il adressera à Berlin.
Dans ces photographies prises en 2015 au musée ethnographique de Dalhem (Berlin), on peut voir sur le cartel les différents collecteurs des objets de Wuvulu (Matty), dont Kärnbach et Hellwig (évoqué dans le précédent article).
Lorsqu'il reçoit les artefacts de Matty, Felix von Luschan, le jeune assistant d'Adolf Bastian, premier directeur du récent musée d'ethnologie, est fasciné par les formes de ces objets, très similaires à celles d'objets micronésiens ; en particulier les plats, les couteaux avec plusieurs inserts en dents de requin et plus étonnantes les haches en os de tortue.
À ses yeux cette production matérielle pourrait peut-être refléter une histoire méconnue du peuplement de la région. Avide de renseignements, il écrit un article avec des illustrations d'objets représentatifs (1895) et en envoie des copies aux représentants de plusieurs sociétés commerciales allemandes.
C'est ainsi qu'en 1896, Max Thiel dépêche la goëlette Welcome sous le commandement de A.F.V. Andersen, avec à son bord M. Schielkopf accompagné de jeunes recrues de Buka afin d'installer un comptoir sur Matty. Commerce et collections ethnographiques allant de pair !
Les pourparlers avec les insulaires sont difficiles mais ils semblent arriver à un accord et Schielkopf et 3 jeunes commencent l'installation. Mais au retour d'Andersen, quelques semaines plus tard, ce dernier trouve le comptoir détruit et inhabité. Les trois jeunes seront retrouvés un peu plus tard, affirmant que Schielkopf a été assassiné. On n'a jamais su le fin mot de cette histoire dramatique et c'est ce qui a constitué le "mystère Matty", celui-ci est aussi devenu une énigme ethnographique quant aux artefacts collectés par la suite !
De là à penser comme le suggère Rainer Buschmann (qui relate le "mystère Matty" p.41-47 dans son ouvrage de 2009) que bon nombre des artefacts rassemblés au cours de ces années avaient été spécialement réalisés pour les Allemands...
Von Luschan a décrié les activités de ces compagnies commerciales, déclarant qu'ils avaient privé les habitants de Matty de milliers d'artefacts afin de fournir tous les musées du monde. Cette vision des Occidentaux dépouillant les communautés autochtones de leurs biens précieux est probablement erronée ; le commerce marchait aussi dans les deux sens.
Ce qui l'est moins, c'est que Von Luschan n'a jamais pu recueillir des données de terrain qu'il espérait et avancer dans la compréhension des cultures de ces îles de l'Ouest, terres de l'archipel Bismarck mais dont les traditions et techniques semblaient si éloignées de celles de la grande terre de Nouvelle-Guinée !
À suivre...
Source :
Buschmann Rainer, 2009, Anthropology's Global Histories, The ethnographic Frontier in German New Guinea, 1870-1935, University of Hawai'i Press.
Parkinson R., 1907, Thirty years in the South seas, (rééd. 1999), Crawford House Publishing
Photo 1 : Vue de Wuvulu, Landsat7, 29 octobre 1999, © NASA.
Photos 2 et 3 : Vitrine au musée d'ethnographie de Berlin, 2015 © de l'auteure.
Photo 4 : Lots 17 et 18, Vente Christie's, Paris - 4 décembre 2008.
Photo 5 : Dessins de Von Luschan reproduits p.42 in Buschmann Rainer, 2009.
Photo 6 : Jeunes de Matty in Parkinson, fig. 69 p.185