Nikki Gemmel : Après

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

Aprèsde Nikki Gemmel   3.75/5 (01.01.2019)

Après (336 pages) est disponible depuis le 17 janvier 2019 aux Editions  Au Diable Vauvert (traduction : Gaëlle Rey)

L’histoire (éditeur) :

Le choix d’une mère, la douleur d’une fille.
« C’est votre mère. » Dès que la porte s’est refermée. J’ai su à ce moment-là qu’Elayn était morte. Comment elle s’y était prise et pourquoi.

Mon avis :

J’ai découvert Nikki Gemmel il y a très longtemps avec Les noces sauvages que j’avais beaucoup aimé. Depuis, je n’avais rien lu d’elle. Alors lorsqu’on m’a proposé de découvrir en avant-première Après  et lorsque j’ai pris connaissance de ce dont il était question, je n’ai pas hésité, voyant là une excellente occasion de renouer avec une auteure qui m’avait touché 19 plus tôt.

« Qui était-elle, cette femme compliquée qui gît à présent devant son fils et sa fille anéantis sur une fine table en acier en ce samedi matin débordant de vue partout ailleurs ? Nous n’avons jamais connu d’événements aussi dramatiques que le décès de notre mère. Elayn nous donne plus de fil à retordre avec sa mort que de son vivant, et nous ne nous attendions pas à ça. » Page 21

Après c’est l’histoire de Nikki, et plus encore celle de sa mère, Elayn, une femme soucieuse de son image qui a pourtantdécidé de mettre fin à ses jours. Passés l’incrédulité et l’abattement, Nikki (et l’un de ses frères) va tenter de comprendre son geste et d’expliquer la brutalité de cet acte (inacceptable en Australie). Elle va ainsi revenir sur la vie de sa maman et sur leur relation mère/fille particulière.

« Vouloir retrouver le passé. Se cacher du futur. Des questions de la police. De la curiosité incessante du voisinage. De mes quatre enfants, avant tout. Qu’est ce qui s’était passé ? A qui la faute ? Celle de quelqu’un ? La nôtre à tous ? « Comment Nonna est morte, maman ? » Page 47

 « Elayn était une adepte des vies cachées, des poches secrètes, et en interdisait l’accès à ses proches. Un caractère récurrent dans sa vie, et dans sa mort. » Page 67

Même si j’ai ressenti pas mal de longueur à la lecture de son récit (le chagrin de l’auteure que l’on comprend aisément, donne régulièrement le sentiment de répétitions), j’ai été très touchée par celui-ci.

Nikki Gemmel se livre avec pudeur et beaucoup de sincérité, elle confie (comme un exutoire) au lecteurs une part d’elle-même et le fait finalement assez bien, car elle soulève de nombreuses questions quant à la prise en charge de la douleur, l’euthanasie, la place de la femme dans la société australienne à une certaine époque (Elayn a su tirer son épingle grâce à sa beauté et a toujours été une femme entreprenante, éprise de liberté et d’indépendance, malgré les règles de bienséance), a la maternité…

« Mariée à dix-neuf ans, mère à vingt-quatre, la propriété de son mari, Elayn appartenait à cette dernière génération de femmes encore de ce monde. Elle y détonnait. Elle a fini par l’avoir en horreur. Elle a traversé trois générations. Celle qui a précédé le féminisme et où elle s’est enterrée en banlieue pendant vingt ans en tant que mère et épouse. Celle du féminisme avec toute la libération et l’euphorie que cela impliquait, mais qui concernait principalement les plus jeunes femmes de son entourage. Puis celle qui a succédé au féminisme et dans laquelle sa fille a évolué. Voilà la tragédie et l’amertume de la vie d‘Elayn : naître à l’époque où elle était née. Elle était trop modeste pour son carde de vue. Peut-être l’était-elle aussi dans sa mort.

Nombreuses seront les futures Elayn. » Page 38

« Être mère vous oblige à donner en permanence. C’est un amour volumineux, extravagant, gourmand, qui resplendit dans la lumière et qui la ternit, qui me donne envie de danser avec euphorie avant de m’accabler au sol, épouser, perdue, les poings serrés contre mes tempes battantes. Certaines mères ont beau avoir un amour incommensurable à donner, elles ressentent parfois un désir ardent de solitude. Pour se libérer, se requinquer. » Page 173

Il en ressort une relation difficile entre Nikki et Elayn, une femme forte (très forte) qui a toujours refusé d’être invisible et a revendiquer son droit à l’indépendance, beaucoup de culpabilité chez la fille (pour ne pas avoir su/voulu écouter sa détresse), de nombreux non-dits qui ont pris le pas sur l’amour (pourtant finalement très présent chacun à sa manière).

« Elle n’a jamais passé son existence à s’éclaircir la gorge discrètement, mais elle l’a jetée sur la table en hurlant pour qu’on l’entende. Sa vie n’a été que réinvention, transformation, avancement et libération. Elle s’est terminée au moment où elle allait sombrer dans l’insignifiance, dans un appartement de Sydney, avec une grande détermination, du cran et dans une solitude immense et bornées. Et je ne m’en remettrai jamais.

Fracassée, en bouillie, comme les lanternes en céramique à mes pieds. » Page 73

Alors forcément, Nikki réfléchit à ce qu’elle perd avec la disparition de sa mère, mais aussi à ce qu’elle gagne. Ses mots sont durs mais, à force de lire son récit (et en comprenant son besoin de perfection), ils prennent toute leur consistance et leur vérité. Avec beaucoup d’authenticité et d’honnêteté, la haine côtoie l’amour et l’admiration.

Après est un roman qui trouve un écho tout particulier en chacun de nous me semble-t-il parce qu’il parle subtilement et pudiquement de relation mère/fille (et plus généralement de mère/enfant), parce qu’il parle d’une époque

« Le lot commun des femmes. Le destin de ma génération. Consumée par les deux bouts, ouaip. S’occuper des enfants ainsi que des parents, garder son boulot, gérer le mari, la maison et avoir l’impression de ne rien faire correctement. Noyée dans l’affairement. » Page 62

L’auteure s’appuie sur des mots d’auteurs et use de mille citations qui trouvent leur place ici, illustrant si bien ses émotions, une situation.

Même s’il y a là certaines longueurs et des répétitions dans l’expression de le peine, l’incompréhension et la frustration (que je conçois totalement), j’ai trouvé ce récit fort et bouleversant.

« Les rares dois où je l’ai laissé tomber pèsent lourd dans ma mémoire. » Page 87

« La vérité : adulte, je n’ai jamais été assez présente pour ma mère. J’aurais dû sacrifier d’autres choses. Mais est-ce qu’un enfant rend un jour ce qu’il a reçu ? Elizabeth Jolley disait qu’il était possible qu’un enfant se réoccupe de ses parents, mais qu’il ne pouvait pas dépenser son énergie à régresser : l’enfant va de l’avant et n’est pas embourbé dans le passé. Les enfants devenus adultes utilisent-ils parfois cet argument comme prétexte ? Nous, les enfants, tellement distraits par d’autre mondes. » Page 87

Le deuil comme une réconciliation…