L'une des revendications majeures des "Gilets jaunes" est le RIC, ou Référendum d'initiative populaire. Tout citoyen pourrait exiger que soit organisé un référendum, à condition d'obtenir un nombre x (250 000 ? 700 000 ? un million ?) de signatures. Ils veulent que cet outil permette de changer la constitution, de révoquer un élu, de proposer ou d'abroger une loi ou un traité.
Le Brexit vient nous rappeler les dangers de l'exercice.
Pourtant ce ne fut pas le résultat d'un RIC, mais d'un référendum proposé par le premier ministre David Cameron, en 2013 et accepté par le parlement - donc par des professionnels de la politique, dont on aurait pu penser qu'ils avaient réfléchi avant d'agir. La question posée semblait simple, voire simpliste : "voulez-vous sortir de l'union européenne ?"
Tous les ingrédients d'une catastrophe annoncée étaient pourtant réunis : un camp pro-européen tellement sûr que le "oui" ne pouvait l'emporter qu'il ne prit pas la peine de faire campagne ; une presse people qui se déchaîna dans un incroyable déluge de "fake news", mensonges et fantasmes en tous genres, jusqu'à présenter le Royaume Uni, qui pourtant jouissait d'une situation privilégiée dans l'UE, comme littéralement "colonisé" par une Europe quasiment nazie, une opinion chauffée à blanc, mais à qui on avait "oublié" de dire quelles seraient les conséquences d'une telle décision... À la consternation générale, le OUI l'emporta. La Grande-Bretagne plongeait dans l'inconnu - personne n'avait prévu qu'un pays voudrait sortir de l'UE - et il fallait bien assumer les conséquences d'un vote "démocratique"...
Depuis deux ans, le pays, mais aussi l'Europe, retiennent leur souffle, et tentent d'atténuer, par un traité de divorce, la brutalité de la sortie... Mais peine perdue : le Parlement britannique vient de rejeter un accord, si laborieusement obtenu, mais qui rendait la Grande Bretagne plus dépendante qu'auparavant...
Que faire à présent ? Respecter à la lettre le choix initial du peuple, quelles qu'en soient les conséquences ? Et rester sourd aux appels au secours de ceux qui comprennent, mais trop tard, qu'ils ont été abusés ? Mais que penser d'un vote "démocratique" qui foule aux pieds le choix massif de l'Ecosse et de l'Irlande du Nord qui ont voté, elles, massivement contre le Brexit ? Il y aurait là un déni de démocratie...
Mais recommencer à voter, quitte à déclarer nul et non avenu un vote initial aux résultats parfaitement nets, ne serait-ce pas aussi un déni de démocratie, pour les Brexiters ?
Quelle que soit la décision finale, le pays en sortira affaibli, divisé, appauvri. Brillant résultat !
Transposons : et le RIC chez nous ?
- Imaginons un RIC exigeant la sortie de l'Europe... Fakes news, intimidations, débats biaisés, mensonges en tous genres : le OUI l'emporte. Et presque aussitôt, les Français s'apercevront qu'ils n'ont plus d'alliés, plus de monnaie, une économie en ruine... Que faire ? Un RIC qui en défera un autre ? Ou aurons-nous pour seul choix le déni de démocratie, ou un suicide consenti ?
- Imaginons un RIC révocatoire : aucun dirigeant ne pourra durer plus de six mois ! Finalement, il sera tout simplement impossible de gouverner... avec toutes les conséquences prévisibles.
- Un RIC abrogatoire... de la même façon, aucune loi ne pourra plus durer ; il suffira de quelques centaines de mécontents pour abroger n'importe quoi, quitte à en oublier les conséquences : tous les droits pourraient à terme se trouver menacés, le mariage pour tous d'abord, puis l'avortement, la contraception, le divorce... de proche en proche, deux siècles de conquêtes sociales pourraient se trouver supprimées. Et puis, si un RIC abroge une loi, un second RIC pourra abroger le premier, et un troisième le second, et ainsi de suite... Ce qui fait la valeur du droit, c'est sa stabilité. Quelle confiance pourront avoir les citoyens dans des lois qui changent à tout vent ?
Et puis, l'abrogation des traités aurait pour première conséquence que la parole de la France perdrait toute valeur. Un pays peut-il vivre sans la confiance de ses alliés, de ses partenaires ? - Finalement, le seul RIC qui pourrait avoir un intérêt démocratique, c'est celui qui porterait sur des propositions. Encore faut-il des garde-fous, un nombre suffisant de signatures, un quorum de votants pour éviter qu'une minorité agissante, un strict contrôle du conseil constitutionnel...
Mais d'aucuns vont encore plus loin : le RIC partout et pour tout.
J'ai entendu hier Étienne Chouard à la télévision, non sans effarement : " quand j'élis un député, je suis empêché de voter pour cinq ans... ce n'est pas acceptable". Ce monsieur veut donc la fin de la démocratie représentative... Mais qu'est-ce à dire ?
Faudra-t-il un référendum pour la moindre décision ? Simple petit exemple : durant la 14ème législature, de 2012 à 2016, il y a eu 1837 propositions de loi, soit une moyenne de 367 par an. En toute logique, il faudrait donc, au minimum, un référendum par jour... Comment ferait-on pour faire voter, chaque jour y compris jours fériés et week-ends, les 43 millions d'électeurs français ?
La démocratie directe a pu fonctionner, un temps, dans l'Athènes du V ème siècle, qui comptait environ 20 000 citoyens en état de voter. Et pourtant elle n'a pas tardé à s'effondrer, après la mort de Périclès, et que des démagogues et des extrémistes ont entraîné la cité à la catastrophe... Le rêve n'avait duré que quelques dizaines d'années !
Ce n'est pas transposable dans un pays développé, profondément divisé, et qui compte 43 millions de votants !