Wulf Kirsten – L’ordre du monde

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

un territoire qu’un fil seul
rattache à l’ordre du monde :
le rebut est livré à la loi de la pesanteur,
les décharges disséminées partout,
les talus envahis de détritus,
de monotones villages-dépotoirs ;
un rayon d’espoir surgit-il ici ou là,
aussitôt un nuage chargé de pluie le couvre,
l’atmosphère ambiante
fait du présent chose déjà posthume ;
les feuilles frémissent par-dessus les toits dépouillés
de leurs ardoises, le vent y souffle ses patenôtres
à travers les poutres, comme si les arbres
s’envolaient en battant des ailes,
un oiseau de nuit en appelle un autre
ou clame sa souveraineté sur son domaine :
ô toi, mon Abdère, pays imbu de toi-même,
caillouteux et rebelle,
rythmé par ses collines,
chez toi, semblait-il, le ciel a parqué
une humanité en bout de course.

*

zur weltordung

ein erdenfleck, der weltordung
notdürftig angehängt mittels grundfaden,
das abfällige auf erdanziehung bedacht,
weithin verzettelte schutthaufen
böschen einvernehmlich abgewohntes verderben,
ausgebrackte, eingeschmolzene dorfansichten,
ein ortsgebundener hoffnungsstrahl,
rasch wieder regenverhangen zugewölkt,
in eine posthume gegenwart versetzt
obwaltender umstände halber,
laubrauschen über entziegelten dächern,
denen der wind das vaterunser
durch die sparren bläst, als flögen
die bäume flügelschlagend davon,
ein nachtvogel ruft jemanden zu sich
oder pocht gebieterisch auf sein revierrecht,
o du mein Abdera, das um sich selbst
kreist und die kiesstirn bietet,
erwiesenermaßen hinlänglich ausgehügelt,
es war, als hätt der himmel
die menschheit endgelagert.

***

Wulf Kirsten (né en 1934 à Klipphausen, Allemagne)Images filantes (La Dogana, 2015) – Préface de Michel Deguy – Traduit de l’allemand par Stéphane Michaud.

Abdère : Ville que le roman de Wieland, Les Abdéritains (1774) a érigé en symbole de la médiocrité de la petite bourgeoisie. Kirsten voit ici sa région natale avec une tendresse mêlée de dépit. (note du traducteur)