J’ai eu d’assez nombreuses fois l’occasion d’entendre Theo Adam en scène, essentiellement à Paris et comme Wotan, son rôle fétiche, mais aussi dans d’autres rôles wagnériens, notamment, la dernière fois où je l’entendis, dans le Roi Marke de Tristan und Isolde en janvier 1991, cette fois à l’Opéra de Vienne (avec Behrens dans Isolde et…Waldemar Kmentt dans le berger).
À Paris nous avons eu la chance de le voir assez souvent distribué, dans Amfortas lors de l’édition de 1975-1976 de Parsifal , où la distribution alternait James King et Jon Vickers dans le rôle-titre, Nadine Denize, Eva Randova, Joséphine Veasey et Gisela Schöter dans Kundry, Kurt Moll et Hans Sotin dans Gurnemanz…
Il fut aussi le Sprecher de la Zauberflöte parisienne, édition 1976-1977 dirigée par Karl Böhm (qui y fut souffrant et remplacé par son assistant pour quelques représentations) où la Pamina de Kiri Te Kanawa alternait avec celle d’Edith Mathis, et aux côtés du Sarastro de Martti Talvela (en alternance avec Kurt Moll et John Macurdy)…
Mais je me souviens surtout de ma première fois : mon premier Wagner sur scène fut Die Walküre production de la Staatsoper de Berlin-Est (à l’époque), en tournée au TCE début avril 1973. Il y était Wotan, aux côtés de la Brünnhilde de Ludmila Dvořáková, alors l’un des sopranos dramatiques les plus réclamés, et en troupe à Berlin-Est. Theo Adam était à cette époque considéré comme le successeur de Hans Hotter, autre Wotan de référence. Il impressionnait par la voix puissante, profonde, riche d’harmoniques, au timbre pur. Ce n’était pas forcément un acteur exceptionnel, comme souvent les chanteurs de cette génération, mais la présence vocale était impressionnante et l’expressivité notable, et surtout, privilège des grands, la diction était d’une telle clarté qu’on entendait chaque mot, avec le poids et la couleur voulus.
Ce fut un grand artiste qui a éclairé mes premiers pas wagnériens et lyriques, j’ai toujours une reconnaissance toute personnelle et particulière envers ces chanteurs qui m’ont ouvert l’oreille et surtout le cœur. Ce fut comme d’autres un artiste « officiel » de la République démocratique allemande avec parmi ses privilèges celui de chanter à l’ouest et notamment à Bayreuth à peu près à volonté. Je ne sais si on le lui pardonnerait aujourd’hui, où « il coûte peu de prescrire l’impossible quand on se dispense de le pratiquer » comme dit Jean-Jacques Rousseau, mais il aurait été criminel qu’une telle voix ne puisse s’exporter.
Une des figures essentielles du chant wagnérien de la fin du XXème siècle s’en est allée, qui va rejoindre mon panthéon personnel des mythes lyriques que j’ai eu la chance d’entendre. Ces artistes sont toujours vivants en moi et c’est l’essentiel.