Richard d'Aveni, The Pan-industrial revolution. How new manufacturing titans will transform the world, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2018, Index. 300 p. 28 $
L'auteur annonce une révolution proche, un genre difficile et, bien, sûr très risqué ; il est Professeur à Tuck Business School (Dartmouth College). Son livre décrit des technologies qui, selon lui, changeront le monde, et d'abord le monde industriel : l'impression 3D et la fabrication additive (AM pour Additive Manufacturing). Ce n'est pas d'avenir qu'il s'agit mais du présent déjà : "The revolution is here" affirme la première partie qui en énumère les caractéristiques, situe les principaux domaines d'application et recense les raisons du succès de ces technologies. Les exemples pour illustrer cette prophétie sont nombreux : Adidas pour les chaussures de sport sur mesure, General Electric, les écrans flexibles OLED, les pièces de moteurs d'avion (Morris Technologies, racheté par GE), les lentilles optiques, les implants médicaux...
Ensuite, vient un chapitre consacré à l'anatomie de cette nouveauté : nouveaux acteurs, nouveaux marchés, nouvelles règles aboutissant à un nouvel ordre du monde. Pour conclure, le livre donne des conseils pour être dans le coup et ne pas manquer le train de cette révolution qui se conjugue, pour la féconder, à la transformation numérique de la production (données, intelligence artificielle, effet network, robotique, etc.).
La fabrication additive favorise la "mass customization" (sur-mesure massif ?), la rend abordable en favorisant la segmentation de masse. La flexibilité permet la modularité et généralise à moindre frais la complexité ("mass complexity") et la standardisation. Concilier les économies d'échelles de la production de masse avec le sur-mesure, avec l'affinité, tel est le principe du succès de l'AM. Fin de la taylorisation, du fordisme ? Richard d'Aveni imagine des associations d'imprimantes 3D ("farms") remplaçant les usines actuelles. La nouvelle usine ne sera pas définie par un produit mais par un ensemble d'imprimantes 3D manoeuvrées par des robots exploitant des données, travaillant à divers produits, permettant d'augmenter son périmètre d'activité ("scope") et son extensibilité ("scaling"). A l'appui de sa thèse, l'auteur évoque Foxconn, Flex (dont le slogan est "Sketch to scale") mais aussi Jabil (Electronic Manufacturing Services), entreprise remarquée pour ses capacités de miniaturisation des produits.
Richard d'Aveni anticipe une recomposition du paysage industriel affectant aussi bien la division technique du travail que l'aménagement du territoire. La nouveauté radicale de l'AM est de relier le marketing, l'analyse du marché, avec la production amenée à coller immédiatement à la perception du marché, à la demande, à sa diversité. Ceci suppose un traitement rigoureux des données collectées en temps réel à toutes les étapes de la production et de la vente (responsiveness ?). Les données apparaissent essentielles à cette transformation. L'AM est décrit comme le chaînon qui unifie tout le dispositif numérique et incite à la concentration, prévoyant le règne de "titans" : "Go big or go home", déclare l'auteur. Il souligne les obstacles culturels qu'il faut vaincre pour percevoir les atouts de l'AM avec lucidité : les ingénieurs formés au calcul précis des coûts de production ne sont pas entraînés à penser au-delà : obstacles épistémologiques au scaling.
Encore une révolution ? Au moins, on échappe à la disruption ! L'ouvrage pèche certainement par optimisme et systématisme ; il déborde d'enthousiasme pour la fabrication additive et se laisse emporter au-delà de ce qu'il a pu observer au cours de son copieux et impressionnant travail d'enquête (entretiens, expérimentations, visités d'usines, de laboratoires, etc.)... Aux lecteurs prudent de tempérer cet enthousiasme pour ne retenir que l'essentiel et oublier les prédications et les extrapolations pour le moins hasardeuses. Car plus que d'une révolution, il s'agit plutôt d'une évolution qui ne concerne pour l'instant que des pièces détachées (l'assemblage reste déterminant) et le prototypage rapide. Mais l'impression 3D ne cesse de progresser : elle vient de toucher le verre (cf. les récentes avancées du MIT). On n'a pas fini d'entendre parler de fabrication additive.
Ce travail très documenté, stimulant, complète les analyses courantes - non moins enthousiastes - qui s'en tiennent à l'intelligence artificielle et au marketing, laissant de côté la fabrication. Beaucoup de lecteurs découvriront dans ce livre des entreprises qu'ils ignorent et qui sont pourtant primordiales.