" Nous assistons à l'effondrement du vieux monde qui croule par pans entiers, jour après jour. Ce qui est le plus surprenant, c'est que la plupart des gens ne s'en aperçoivent pas et croient marcher encore sur un sol ferme. " (Rosa Luxemburg, 1916-1918).
Il y a un siècle, le 15 janvier 1919, la théoricienne de la révolution Rosa Luxemburg est morte assassinée à l'issue de l'insurrection communiste à Berlin, quelques semaines après fin de la Première Guerre mondiale. Cette femme, née polonaise dans l'Empire russe le 5 mars 1871, qui fut une théoricienne du communisme et du marxisme, est morte à l'âge de 47 ans pour avoir encouragé et participé à un début de révolution dans les décombres de l'Empire allemand.
Clandestine, Rosa Luxemburg a été arrêtée le 15 janvier 1919 à Berlin par des militaires allemands sous le commandement du Ministre de la Défense Gustav Noske (1868-1946) qui était SPD (le parti social-démocrate allemand). Elle fut rouée de coups puis tuée par balle par l'un des militaires. Son corps fut ensuite jeté dans un canal. Ce ne fut donc pas une exécution, même sommaire, mais bien un assassinat qui fut suivi d'un procès au cours duquel les juges se sont montrés très cléments (des peines de deux ans et quelques mois de prison ont été prononcées contre les soldats ayant joué un rôle dans sa mort). Notons qu'en France, l'assassinat de pacifistes n'était pas plus puni qu'en Allemagne puisque l'assassin de Jean Jaurès fut acquitté le 29 mars 1919.
Le corps de Rosa Luxemburg fut repêché le 31 mai 1919 et enterré le 13 juin 1919. Leo Jogiches (1867-1919), camarade communiste de Rosa Luxemburg, fut également assassiné le 10 mars 1919 parce qu'il enquêtait sur les circonstances précises de sa mort. Un médecin légiste berlinois a affirmé le 29 mai 2009 avoir découvert dans le sous-sol de son institut le corps d'une femme qui pourrait être aussi celui de Rosa Luxemburg.
Pacifiste, elle-même membre du SPD, Rosa Luxemburg en fut exclue après le début de la guerre et a fondé avec notamment Karl Liebknecht (1871-1919), qui est mort assassiné le même jour qu'elle et dans les mêmes circonstances, assassiné après son arrestation, la Ligue spartakiste le 4 août 1914 (quand le SPD a voté le budget pour la guerre), puis le parti communiste allemand (KPD) le 31 décembre 1918.
Marxiste avant tout, Rosa Luxemburg s'opposait à tout réformisme, c'est-à-dire, aux réformes en faveur des ouvriers dans le "cadre bourgeois" : " Quiconque se prononce en faveur de la voie des réformes légales, au lieu et à l'encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus tranquille, plus sûre et plus lente, conduisant au même but, mais un but différent, à savoir, au lieu de l'instauration d'une société nouvelle, des modifications purement superficielles de l'ancienne société (...), non pas la suppression du salariat, mais le dosage en plus ou moins de l'exploitation. " (1898).
Si Lénine était également favorable à l'arrêt de la guerre entre la Russie et l'Allemagne, considérant que la guerre était une affaire de bourgeois dont les victimes étaient les ouvriers, Rosa Luxemburg était opposée à la tournure de la Révolution bolchevik en Russie. Certes, comme Lénine, elle était opposée à toute collusion avec des partis bourgeois ou considérés comme tels (comme le SPD), mais son pacifisme n'était pas circonstanciel (les bolcheviks avaient besoin de ne plus avoir de front extérieur pour pourchasser les "Russes blancs" au cours de la guerre civile).
En effet, Rosa Luxemburg était avant tout opposée au principe de la terreur et de l'assassinat : " Dans les révolutions bourgeoises, l'effusion de sang, la terreur, le crime politique étaient des armes indispensables entre les mains des classes montantes. La révolution prolétarienne n'a nul besoin de la terreur pour réaliser ses objectifs. Elle hait et abhorre l'assassinat. Elle n'a pas besoin de recourir à ces moyens de lutte parce qu'elle ne combat pas des individus, mais des institutions, parce qu'elle n'entre pas dans l'arène avec des illusions naïves qui, déçues, entraîneraient une vengeance sanglante. " ("Die rote Fahne", 14 décembre 1918).
Et d'ajouter : " À la violence de la contre-révolution bourgeoise, il faut opposer le pouvoir révolutionnaire du prolétariat, aux attentats, aux intrigues ourdies par la bourgeoisie, la lucidité inébranlable, la vigilance et l'activité jamais en défaut de la masse prolétarienne. Aux menaces de la contre-révolution, l'armement du peuple et le désarmement des classes dominantes. Aux manœuvres d'obstruction parlementaire de la bourgeoisie, l'organisation inventive et active de la masse des ouvriers et des soldats. ".
Vouloir réduire la peuple dans ce qu'on a appelé la "lutte des classes", c'est-à-dire à une confrontation permanente entre "bourgeois" et "prolétaires", comme s'il n'existait pas d'autres "catégories", et surtout, comme si les "prolétaires" n'aspiraient pas à devenir un jour "bourgeois", ce qui allait permettre le développement d'une classe moyenne aujourd'hui plongée dans l'angoisse d'un "déclassement", c'est avoir un regard simpliste sur la société humaine toujours très complexe et nuancée.
Mais comprendre les tendances révolutionnaires est intéressant, notamment parce que Rosa Luxemburg était (le terme est anachronique puisqu'elle est morte trop tôt) antistalinienne, en tout cas, antiléniniste et antitrotskyste. D'ailleurs, inversement, Staline a condamné les idées de Rosa Luxemburg dès 1931, qui furent considérées comme une perversion de la pensée communiste en URSS jusqu'à la mort du dictateur.
Dans ce document qui fut une profession de foi de la Ligue spartakiste, elle insistait aussi sur ce sujet essentiel, les institutions. Elle était contre toute forme d'organisation : " [La révolution prolétarienne], ce n'est pas la tentative désespérée d'une minorité pour modeler par la force le monde selon son idéal, c'est l'action de la grande masse des millions d'hommes qui composent le peuple, appelés à remplir leur mission historique et à faire de la nécessité historique une réalité. ".
Ainsi, Rosa Luxemburg a développé le modèle d'une révolution sans terreur et sans hiérarchie : " Considérer qu'une organisation forte doit toujours précéder la lutte est une conception tout à fait mécaniste et non dialectique. ". Cette idée signifiait pour elle qu'il n'y avait pas de révolution prolétarienne sans démocratie.
En ce sens, les gilets jaunes ne sont pas très loin de cette idée de refus d'organisation et de refus de hiérarchie, ce qui, évidemment, entraîne des difficultés supplémentaires par l'absence d'interlocuteurs pour un dialogue avec le gouvernement et aussi par l'irresponsabilisation du mouvement (entraînant notamment des violences dans les manifestations), certains individus pouvant s'autoproclamer représentants des gilets jaunes et d'autres revendiquer tout et n'importe quoi sans risque d'être éconduits ni contredits.
L'un des traits caractéristiques de ceux qui se revendiquent aujourd'hui de la pensée de Rosa Luxemburg (certains courants communistes dans la mouvance gauchiste) soutiennent avant tout le principe de la démocratie directe qui peut être illustré par la demande de référendum d'initiative citoyenne. Encore que, sur ce point, il faut bien constater que cette revendication fut tardive et dictée principalement par le mouvement de récupération de certains gauchistes dans une démarche originellement plus poujadiste que communiste avec surtout des revendications contre la politique fiscale du gouvernement et pour la défense du pouvoir d'achat.
Alors, Rosa Luxemburg aurait-elle été gilet jaune ? La question n'a évidemment pas de réponse puisque, avec l'uchronie, on pourrait tout imaginer, tout dire, tout écrire, mais on peut être certain que le rouge la caractérisait et, pour terminer par une pirouette, disons qu'elle n'était pas non plus insensible au rose : " Je suis restée sous le charme (...) d'un immense nuage d'une belle teinte rose tellement irréelle que l'on aurait dit un sourire, un salut venant d'horizons inconnus. J'ai éprouvé comme une libération et, sans le vouloir, j'ai tendu mes deux mains vers cette apparition magique. N'est-ce pas que la vie est belle et vaut la peine d'être vécue quand elle nous offre de telles couleurs et de telles formes ? " (1916-1918). En somme, tout le contraire de l'état d'esprit de Houellebecq...
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