La radicalisation du pouvoir devient une surenchère de bêtises, d'outrances et de complotisme qui surprend quelques fidèles. Emmanuel Macron s'affole car le mouvement des Gilets Jaunes dure et perdure, et conserve une popularité inégalée dans les sondages. Et voici que l'Acte 9 est un succès.
Patatras
La tentative d'étouffementMacron fait voter les 10 milliards concédés aux Gilets Jaunes en un temps presque record, aussi rapide que le juteux paquet fiscal de 2018. Mais cela ne suffit pas.
En milieu de semaine, voici encore 9 milliards d'euros, cette fois-ci pour le logement! "9 milliards mobilisés en faveur des salariés les plus modestes" titre la dépêche gouvernementale. Grâce à la crise des Gilets Jaunes, le gouvernement fait mine de se découvrir "social": "Le pouvoir d’achat des ménages, l’accès au logement et l’accompagnement de la transition écologique sont des priorités du Gouvernement."
Vraiment ?
Quel est ce nouveau cadeau, si rapidement éclipsé par l'actualité violente ? Après la réduction drastique des APL, puis la division par deux des objectifs de campagne du candidat Macron en matière de rénovation énergétique des bâtiment, c'est un nouvel effet d'annonce, quelques milliards pour aider des salariés à rénover leur logement HLM ou ... déménager "pour se rapprocher du lieu de travail" (jusqu'à 1 000 euros). En fait, Macron ne fait pas de miracle. Ce plan sera géré par un organisme public, Action Logement, qui regroupe 65 bailleurs HLM. Notez la beauté de la formule: Action Logement va emprunter, avec l'aide de la Banque JP Morgan, pour financer ces efforts. Remplacer le financement public par un endettement sur les marchés financiers, voici l'astuce. Mieux, ce "plan" ne concerne finalement que les salariés du parc HLM, un parc par ailleurs affaibli par les coupes budgétaires décidées par Macron.
Le sens de l'effort des ultra-riches
Macron et ses supporteurs s'accrochent à protéger la France d'en haut. Pas touche aux impôts des plus riches !
Les soutiens du gouvernement répètent combien les riches payent déjà beaucoup, que "57% des Français ne payent pas l'impôt sur le revenu", négligeant soigneusement que la TVA, impôt indirect des plus injustes, pèse plus du double de l'IR dans les recettes de l’État.
Les Echos publient un dossier édifiant: "Impôts : les 20 % de Français les plus aisés, perdants de la décennie d'après-crise". Laissons les riches tranquilles ! De surcroît, pourquoi vous plaignez-vous, les Gilets Jaunes ? "La redistribution est massive, sans équivalent dans les autres grands pays" renchérit l'éditocrate Dominique Seux sur France inter.
Et pourtant, qu'apprend-t-on surtout de cette analyse des Echos ? Au sein des 20% les plus riches se cachent les ultra-riches (1% des ménages les plus aisés du pays perçoit 7% des revenus du pays et 30% du patrimoine) qui sont les plus épargnés de l'impôt et les grands gagnants des réformes Macron.
Le taux d'imposition des 1% des Français les plus riches est ... inférieur à celui du reste de la population. Quel sens de l'effort ! Le cumul des cotisations sociales, taxes sur le capital, impôt sur le revenu et TVA s'affiche à moins de 45% des revenus, soit 10 points de moins que celui des 10% les plus pauvres (55%)... N'est-ce pas cocasse ? Mieux, grâce à Jupiter, ils sont encore davantage gagnants: "depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, la situation est très contrastée. Il y a une petite partie qui gagne beaucoup, soit les 2 % de Français les plus aisés qui ont bénéficié des réformes de la fiscalité du capital" résume le quotidien de la finance.
Merci Macron, merci patron.
L'affolement
Il faut rappeler les faits. Après quelques violences, rares mais ultra-médiatisées et dans des lieux symboliques (un ministère, une passerelle près de l'Assemblée), Emmanuel Macron pète un câble. Finis la compréhension, l'ouverture et autres bisous du Nouvel An. Il réclame de la répression, et qu'on mette fin au "bordel". "Le mouvement des Gilets jaunes a trahit son origine, il n'est plus social," explique-t-il au Palais (d'après le Canard Enchaîné), "il est insurrectionnel, factieux. C'est pourquoi nous ne devons plus le tolérer."
Cette injonction présidentielle à l'intolérance et à la répression est prise à la lettre par les perroquets macronistes.
Silence poli sur ce commandant de police réputé raciste et frontiste filmé tabassant un manifestant noir à Toulon. Silence sur les violences policières. Silence encore sur les 1400 blessés civils depuis 8 semaines, parfois défigurés à vie par les flashball ou les grenades. Silence et tolérance bien sûr pour Alexandre Benalla et son passeport diplomatique, son épouse salariée de En Marche ou l'acolyte Vincent Crase financé par un oligarque russe.
Dimanche 6 janvier 2019, nouvelle année depuis peu, et voici l'ancien boxeur professionnel Christopher Dettinger qui publie une video d'explication et d'excuses sur Facebook: "j'ai mal réagi" répète-t-il à propos de l'agression violente contre un flic casqué sur un pont de la Seine, à Paris, la veille. "J'ai mal réagi" répète-t-il, la voix troublée. Le lendemain, il se rend à la justice. Une cagnotte sur la plateforme Leetchi est mise en place, les 120 000 euros sont rapidement atteints. Belle solidarité pour un homme qui reconnait avoir perdu les plombs, qui perdra sans doute son emploi après son inévitable condamnation. Mais la Macronie éructe de rage, elle crie vengeance, elle pilonne le boxer. La "bienveillance", c'est pour les patrons inculpés de fraude fiscale tels Carlos Ghosn, pas pour les gueux qui tapent des flics dans la rue. Les sous-ministres Griveaux, Denormandie et Schiappa dénoncent ainsi une "cagnotte anti-flics".
La rage en 13 actes
Ils ont la trouille. Ils répètent à coup sûr les éléments de langage de l'Elysée.
1. Mardi, sous la pression du gouvernement, la cagnotte pour le boxeur est fermée, et partiellement annulée par Leetchi. A l'inverse, un député LR de Provence, le Marseillais Renaud Muselier, ouvre une cagnotte concurrente, "pour la police".
2. Marlène Schiappa se distingue dans la bêtise en suspectant un financement de "puissances étrangères". La sous-secrétaire d'Etat à l'Egalité Femmes/Hommes provoque un joyeux malaise en répétant la même accusation infondée et complotiste: elle veut les noms des donateurs, pour, dit-elle, "vérifier s'il y a des puissances étrangères qui financent les casseurs et les violences urbaines dans Paris." Cette même sous-ministre participe pourtant à un gouvernement qui s'indigne des Fake News, et a fait passer une loi contre cela.
3. Benjamin Griveaux accuse l'opposition toute entière d'être "munichoise". Il souffle sur les braises. Que quelques militants de l'ultra-droite aient tenté d'envahir son ministère le samedi précédent le met en rage. Alors il accuse, il récuse, il braille sa haine. Comme d'autres, ce secrétaire d’État de la République perd les pédales.
4. La députée Aurore Bergé joue sa partition en annonçant qu'elle dépose un "signalement" au procureur de Paris contre les "cadres de la France insoumise". Quelle est la prochaine étape ? L'emprisonnement préventif ? Pour paraître plus conciliante, elle co-signe une tribune à l'adresse des Gilets Jaunes... dans les colonnes du premier quotidien de la finance, Les Echos. A qui s'adresse-t-elle en réalité ? A son électorat.
5. Le premier ministre Edouard Philippe, mal à l'aise dans un rôle de père-fouettard qui lui convient mal, prévient au JT de France 2 dès lundi que 80 000 policiers et gendarmes seront mobilisés le samedi suivant (alors que ses ministres et supporteurs ne cessent de répéter combien les manifestations ne rassemblent que quelques milliers de participants), et la création d’un fichier de personnes interdites de manifestations. Bienvenue en autocratie...
6. Le ministre de l'intérieur franchit un cap, il menace les manifestants: "ceux qui appellent aux manifestations demain savent qu'il y aura de la violence. Et donc ils ont leur part de responsabilité. Demain, ceux qui viennent manifester dans des villes où il y a de la casse qui est annoncée savent qu'ils seront complices de ces manifestations-là." Avec cette menace, Castaner se se place en dehors de la loi républicaine, lui rappellent des avocats.
7. L'ampleur de la répression est déjà inédite: plus de 5000 gardes à vue, pour 1000 inculpations. Et toutes sont loin d'être en rapport avec des quelconques faits de violence. A Narbonne, par exemple, un jeune Gilet Jaune, mis en examen pour manifestation illégale, est condamné à 6 mois de prison ferme et 3 ans d'interdiction de manifester.
8. Deux philosophes médiatiques se joignent à cette défense de classe. Luc Ferry, ancien ministre de Chirac, renchérit sur l'un de ses plateaux radiophoniques qui l'invitent si régulièrement pour qu'il donne son avis sur les affaires du monde, et appelle la police à riposter plus durement: "qu'ils se servent de leurs armes une bonne fois !". Bernard-Henri Levy, depuis son ryad à Marrakech puis depuis Londres, balance salve sur salve contre les Gilets Jaunes.
9. La seconde cible des perroquets macronistes est la France insoumise: puisque les Gilets Jaunes sont des "factieux", Mélenchon qui soutient les appels à manifester de ces mêmes Gilets Jaunes est aussi un factieux: Griveaux accuse ainsi Mélenchon d'avoir "quitté le champ républicain", rien que ça. Le député Bruno Bonnell, régulièrement épinglé pour son abstentionisme parlementaire, accuse son homologue insoumis Adrien Quatennens de "légitimiser les exactions."
10. Son collègue Julien Denormandie répète: "Mélenchon a trahi la République". Ces propos sont diffamatoires: "ce responsable politique (...) qui insulte les juges, qui appelle au final à casser du flic, parce qu'il soutient ceux qui cassent du flic, au final c'est une trahison républicaine." Sur d'autres ondes, Mélenchon lui répond indirectement: "j'ai toujours été hostile aux stratégies de violence dans les mobilisations sociales."
11. Ces "snipers" grossiers de la Macronista sont aidés par quelques idiots utiles, "opposition de confort" comme les qualifient Mélenchon. Olivier Faure puis Benoit Hamon croient utile de dénoncer une alliance politique entre France insoumise et Rassemblement national ... qui est une pure fiction. On marche sur la tête...
12. A la demande du ministère de l'Intérieur, les services de santé ont fiché les Gilets Jaunes blessés lors des manifestations de décembre, rapporte Mediapart.
13. Attrapée par une polémique sur l'importance de son salaire, la présidente de la CNDP Chantal Jouanneau lâche l'affaire et refuse de piloter le "Grand Débat" présidentiel. Moment surréaliste, Benjamin Griveaux la somme aussitôt de démissionner de toutes ses fonctions, même celles sans rapport avec le nouveau gadget macroniste.
Le mépris
En fin de semaine, Jupiter livre encore l'un de ses bons mots dont il a le secret. En substance, trop de Français n'aiment pas faire des efforts. Et patatras... ça recommence.
"Les troubles que notre société traverse sont aussi parfois dus, liés au fait que beaucoup trop de nos concitoyens pensent qu'on peut obtenir sans que cet effort soit apporté. Parfois on a trop souvent oublié qu'à côté des droits de chacun dans la République - et notre République n'a rien à envier à beaucoup d'autres - il y a des devoirs. Et s'il n'y a pas cet engagement et ce sens de l'effort, le fait que chaque citoyen apporte sa pierre à l'édifice par son engagement au travail, notre pays ne pourra jamais pleinement recouvrer sa force, sa cohésion, ce qui fait son histoire, son présent et son avenir."Au final, cet affolement collectif du clan macroniste est saisissant. Il s'explique en partie par la persistance d'un mouvement de contestation qui affole le sommet du pouvoir. Macron apparait en manque d'autorité.
Le calme de l'opposition
A l'étranger, la réaction du pouvoir face aux Gilets stupéfait toujours autant les observateurs d'un grand nombre de médias. L'agence Reuters relaye sobrement l'organisation prochaine du "grand débat": "Macron espère calmer le mouvement avec son débat. Comme Louis XVI en son temps". Un éditorialiste américain de Bloomberg dénonce la répression qu'il qualifie de poutinienne. Si le pouvoir s'affole, l'opposition si fustigée par une Macronista assiégée est au contraire bien calme.
Marine Le Pen est calme, Macron fait sa pub. Tapie dans l'ombre, elle intervient peu et récolte beaucoup. La promotion gratuite que lui font les macronistes la sert. Emmanuel Macron veut rejouer le match anti-frontiste pour les prochaines élections européennes, un match qui a permis sa victoire haut la main au second tour. La Bête Immonde est ainsi fortifiée par les caricatures macronistes qui amalgame les Gilets Jaunes à des supporteurs frontistes. Marine Le Pen n'a pas besoin de parler. D'ailleurs, si elle s'exprimait plus en détail, on découvrirait plus facilement combien elle est déphasée, voire opposée aux revendications sociales principales du mouvement - rétablissement de l'ISF, augmentation du SMIC. Elle compte aussi des soutiens infiltrés - Identitaires, neo-nazis de l'Ultra-droite - qui participent aux coups de chaud contre les édifices publics
L'opposition de droite est calme, elle a quasiment disparu. Laurent Wauquiez est mal en point. Ses outrances xénophobes ont échoué à solidifier son camp. Thierry Mariani file chez Le Pen pour obtenr un strapontin en position éligible aux prochaines élections européennes. Gérard Larcher, président LR du Sénat, réfléchit en secret avec Richard Ferrand, président LREM de l'Assemblée, à une nouvelle alliance gouvernementale.
Le PS (Faure) et Génération.e.s (Hamon) sont calmes à force d'être inaudibles. Le PCF tente d'épouser le mouvement Gilets Jaunes via son nouveau patron Fabien Roussel.
Les insoumis sont calmes. Mélenchon lui-même multiplie pourtant les appels au calme. Dans sa vidéo hebdomadaire, il suggère à nouveau la création d'un force de casques blancs pour sécuriser les manifestations et empêcher la violence. Pour sa première interview télévisée de 2019, sur BRUT, en direct jeudi 10 janvier, Mélenchon revient au passage sur la pseudo-convergence que quelques idiots socialistes, de nombreux éditocrates et les perroquets officiels de la Macronie lui prête. Convergence ? Au contraire, "les divergences se sont creusés" à la faveur de la crise des Gilets Jaunes, explique-t-il. Et d'énumérer les désaccords factuels, concrets et vérifiables sur les institutions, la justice fiscale, la relance par le pouvoir d'achat, l'universalisme de la nation, l'égalité des droits, l'immigration et l'asile.
Finalement, samedi 12 janvier, l'acte 9 est un succès. Les tentatives d'intimidation n'ont pas fonctionné. On peut même penser que le déchaînement affolé du pouvoir et de ses sbires contre "le boxeur de la passerelle" ont requinqué le mouvement. Les manifestations sont pour l'essentiel pacifiques, partout en France: "moins de violences et plus de manifestants, notamment à Paris", reconnait le Figaro. A Bourges, concert improvisé. Dans d'autres cortèges, un embryon de service d'ordre.
A Rouen, des journalistes de LCI sont agressés, puis sauvés par d'autres Gilets Jaunes.
A qui la faute ?