Montherlant par J-Emile Blanche 1922
" On s'était demandé à qui ou à quoi il avait pensé, ce 21 septembre 1972, en appuyant le canon d'un revolver sur sa tempe. La réponse qui nous parvient aujourd'hui ne nous était pas destinée. Quelque temps avant de passer à l'acte, de franchir en toute tranquillité, la porte de secours localisée depuis sa jeunesse, Montherlant, né en 1896, et qui d'habitude dormait sans faire de rêves, en avait fait un qui l'impressionnait : "Il m'a montré le seul être que j'aie aimé de toute ma vie, et surtout il m'a montré qu'il était le seul ; que les autres n'en avaient été que des caricatures."...
Montherlant a sa logique ; il en tire un accroissement de sa liberté, un supplément d'audace et le refus des préjugés. L'académicien à qui, selon l'usage du quai de Conti, est revenu au moins une fois l'éloge annuel de la vertu insiste sur les bienfaits et bénéfices de la coucherie conçue à la manière d'un placement à long terme chez un banquier : " Que d'existences heureuses, comblées, ne le doivent qu'à la prostitution de leurs jeunes années." Ni Proust ni Balzac ne prouvent le contraire, et qui prétendrait n'avoir jamais vérifié autour de lui les effets des culbutes sur une carrière serait un hypocrite. Montherlant s'en amuse, comme de tant de choses, et à contempler la société, bien des milieux, la politique et les manèges amoureux, use d'un humour dont on n'a pas souvent imaginé qu'il était l'un de ses traits de caractère. Ici et là, à côté d'un ton NRF à subjonctif pointe même l'impensable : le style d'une traduction du latin qui eût été rechapée par l'inspecteur Bérurier. Et le livre, qui n'était pas voulu, et que nous avons à présent entre les mains, si on le place dans l'étendue de l'oeuvre officielle, y provoque un effet d'optique, une anamorphose : l'auteur plus grand verticalement qu'il ne l'est horizontalement.
Paradoxal Montherlant, trop vite confondu avec son public, qui pour le panache défend et illustre les causes auxquelles il ne croit plus : la religion, la patrie, l'amitié. Que charme la vitalité se dégageant des cortèges du Front populaire et qui à l'occasion collabore sans rémunération à la presse communiste. Rien n'a diminué sa certitude ; tout ce que la main n'atteint pas est un leurre ; et sa main, sans espoir de la remplir encore, il l'a refermée sur une arme. Il est rare que nous sachions que l'au-revoir est un adieu et qu'un individu nous parle pour la dernière fois. Après la découverte, le silence qui suit en est approfondi comme après une détonation. "
Angelo Rinaldi, 6 décembre 2001, à propos de "Garder tout en composant tout" d'Henry de Montherlant. Extrait de l'ouvrage "Dans un état critique" qui regroupe 120 chroniques d'Angelo Rinaldi' parues dans le Nouvel Obs entre 1998 et 2003. https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_de_Montherlant