"Le gel de la fin de nuit avait racorni les dernières roses. Aux branches des arbres, dans le verger et sur les berges de l'étang, persistaient quelques feuilles oscillantes qu'un caprice retenait de tomber."
En ce 6 décembre 1870 Gaston Bazille est à la recherche du corps de son fils, Frédéric Bazille, mort à la guerre. Le jeune homme était un peintre talentueux, ami de Monet, un jeune homme attachant, touché en plein vol, fauché dans sa jeunesse. De cette amitié, est resté ce tableau de Monet, "Déjeuner sur l'herbe", quintessence de la joie insouciante de cette période de leurs vies.
La première partie du roman s'attache à ses pas, jusqu'à sa fin, tragique.
Puis, nous le quittons pour découvrir la merveilleuse Camille, les années de bonheur aux côtés de Monet, quelquefois dans la misère, quelquefois dans l'opulence, d'Argenteuil à Vétheuil.
Pour la dernière partie du roman nous retrouvons Claude Monet à Giverny, durant ses dernières années aux côtés de Blanche la fille de sa deuxième femme Alice. Sa vue décline, son moral aussi, éclairé par ses rencontres amicales avec Clémenceau.
"Il disait alors que la peinture, ce n'est ni le temps passé, ni l'éternité, c'est l'espace et le l'instant, le paysage et le temps, ce que durent les traces de pâtes vertes, bleues, jaunes et rouges répandues sur de la toile tissée serrée."A cette période déclinante, il demande à ce que son oeuvre "Femmes au jardin" soit exposée à l'Orangerie, avec ses Nymphéas. cette toile figure Camille trois fois : de face et de profil, et à l'arrière-plan, elle fait apparaitre la jeune fille qu'avait aimé Frédéric. Ce tableau, Frédéric Bazille l'avait acquis pour que son ami ne meure pas de faim, et, à l'heure de l'enterrement, le corps du jeune homme avait été veillé sous le tableau, dans la propriété familiale des Bazille, sur les hauteurs de Montpellier.
"S'il avait donné son oeuvre à la France, ce n'était pas pour les quelques millions d'individus qui portaient le nom de Français aujourd'hui, mais pour le million et demi de jeunes hommes qui n'étaient pas revenus des tranchées, pour ceux qui étaient morts à sa place en 1870, et tous ceux-là, les millions d'hommes et de femmes qui avaient aimé, souffert, travaillé et rêvé sur ce morceau de terre, dans cette partie du monde, pour en faire sous le ciel changeant une des plus belles oeuvres humaines, le plus beau des jardins."
Dans ce roman délicat, au style impressionniste, Michel Bernard évoque avec tendresse les remords de Claude Monet, ces deux êtres partis trop tôt, en plein vol. En les mettant en lumière, il s'inscrit dans la lignée de Monet : offrir l'éternité aux aimés, par le merveilleux intermédiaire de l'art.
Prix Libraires en Seine 2017
Prix Marguerite-Puhl-Demange 2017
Merci à Robert Chelle, mémoire de l'ENA, pour ce cadeau lumineux...