Cette revue annuelle de littérature et de réflexion initiée par Hubert Haddad s’engage à parler du monde d’une manière décentrée, nomade, investigatrice, loin d’un point de vue étroitement hexagonal, avec pour premier espace d’enjeu l’Afrique et la Méditerranée.
C’est autour du nom prestigieux d’Apulée – auteur berbère d’expression latine qui, avec l’Âne d’or ou les Métamorphoses, ouvrit au IIe siècle une extraordinaire brèche de liberté aux littératures de l’imaginaire – que se retrouvent ici écrivains et artistes venus d’horizons divers. Romanciers, nouvellistes, plasticiens, penseurs et poètes des cinq continents ont la part belle pour dire et illustrer cette idée de la liberté, dans l’interdépendance et l’intrication vitale des cultures.
C’est avec le numéro 2 de cette revue, paru en 2017, sur le thème de l'imaginaire et des pouvoirs, que nous aurons, cette année, notre rendez-vous mensuel.
Abdellatif Laâbi
Une nuit d’avant le temps (extrait)
(…)
J’aurais pu
me taire
me taire pour de bon
(…)
M’armer du silence
de ceux qui ne connaissent de la mer
que les vagues ennemies
et les cimetières des fonds
Ceux qui, dans la boue glaciale
se lavent le visage
avec le sang des barbelés
Ceux que tout accuse et condamne :
le nom, le prénom
la langue, le pays
la fierté mal placée des hommes
la fécondité indécente des femmes
Ceux qui nous parlent éloquemment
par de simples gestes
ou des instantanés
pris à leur insu
morts ou vifs
J’aurais pu
ne pas être là ce matin
à scruter la nuit
dans la clarté du jour
à confonfre
ma petite tragédie
avec celle, incommensurable
du monde
à gratter, gratter du papier
au lieu de souffler, souffler
dans la trompe gigantesque de la colère
jusqu’à ce que mes poumons éclatent
(…)