Rainer Maria Rilke – Parcours nocturne

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Rien ne peut se comparer. Qu’est ce qui n’est pas entièrement
seul avec soi, en effet, et y eut-il jamais chose à dire ;
nous ne nommons rien, il nous est seulement permis d’endurer
et de nous persuader que çà et là un éclat,
çà et là un regard nous a peut-être effleurés
comme si précisément cela qui est notre vie
vivait à l’intérieur. A qui résiste,
le monde n’advient pas. Et à qui comprend trop,
l’éternel se dérobe. Parfois
dans de grandes nuits pareilles à celle-ci nous sommes comme
hors de danger, partagés en fragments égaux,
répartis en étoiles. Comme elles sont pressantes.

*

Nächtlicher Gang

Nichts ist vergleichbar. Denn was ist nicht ganz
mit sich allein und was je auszusagen;
wir nennen nichts, wir dürfen nur ertragen
und uns verständigen, dass da ein Glanz
und dort ein Blick vielleicht uns so gestreift
als wäre grade das darin gelebt
was unser Leben ist. Wer widerstrebt
dem wird nicht Welt. Und wer zu viel begreift
dem geht das Ewige vorbei. Zuweilen
in solchen großen Nächten sind wir wie
außer Gefahr, in gleichen leichten Teilen
den Sternen ausgeteilt. Wie drängen sie.

*

Nocturnal Walk

All’s past compare ! What is not utterly
in self-aloneness ? What can be expressed ?
We’ve names for nothing, we endure at best,
and come to feel that here a gleam, maybe,
and there a glance has traversed us in such
manner as though within it that existed
which is our life. For one who has resisted
no world has risen. And one knowing too much
eternity will by-pass. Overspread
by these great nights, we seem at moments long
past reach of peril and distributed
lightly among the stars. Oh, how they throng !

Capri, 17 April 1908

***

Rainer Maria Rilke (1875-1926) – Poèmes à la nuit (Verdier, 1994) – Traduit de l’allemand par Gabrielle Althen et Jean-Yves Masson – Préface de Marguerite Yourcenar – Poems 1906 to 1926 (New Directions, 1957) – Translated by J.B. Leishman.