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Jean Parvulesco : la langue des oiseaux et le Kathèkon

Par Contrelitterature

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  Il faut lire le roman de Jean Parvulesco, Un bal masqué à Genève, comme le livre-signe de son oeuvre. Un signe qui apporte la clé de son écriture romanesque.

  Le baroquisme célinien de ce livre est d’une nostalgique beauté. Le narrateur, sorte de Ferdinand mystique égaré dans un roman de Meyrink, pourrait bien être le dernier homme. Il a pour nom Jean d’Altavilla et il va devenir au cours du récit un grand héros tantrique. L’inspiration « contrelittéraire » de Jean Parvulesco, obsessionnellemnt attirée par le Regnum Sanctum de la Fin, en appelle ici ouvertement au tantrisme.

  Le tantrisme insiste tout spécialement sur la « puissance » comme moyen et fondement possible de « réalisation » dans les derniers temps. Conception dangereuse qui peut faire percevoir des facultés psychiques comme des possibilités du corps humain. Mais Jean d’Altavilla n’est pas un héros d’opérette, il pratique le Grand Art de l’Opéra. Le titre du roman n’est-il pas une citation d’un opéra de Verdi : Le Bal masqué – « Un Ballo in Maschera » ?

  Ce qui masque en réalité cet opéra de Verdi est une Oeuvre au vert alchimique qui doit permettre l’avènement de la Jeune Ève, c’est-à-dire, pour parler comme Parvulesco : la coronation de Marie.

  Dès le début du roman, on est saisi par l’utilisation calembouresque de la langue française. L’ objet de la quête première du narrateur, c’est le merlot, qu’il faut entendre « mère l’eau » bien évidemment. Car ce qui est dit sur l’eau n’est jamais vain… Et c’est ainsi que commence le roman : par un déluge sur Genève que traverse notre Jean d’Altavilla à la recherche de son pinard préféré.

  Le récit va opérer l’assèchement de cette eau initiale (O) et sa transformation dans l’air final (R) où se produira l’aurification du lieu des Noces Chymiques préludant au grand vol chamanique du narrateur. D’ailleurs tout cela était déjà inscrit dans le nom même du héros, d’Altavilla, dont nous disions qu’il devient à la fin du roman un grand héros tantrique, c’est-à-dire un vîraqui se prononce en sanscrit avec un « r » roulé, donc : *vila.

  L’alchimie intérieure qui va transformer notre héros repose sur diverses pratiques psycho-physiologiques taoïstes, telles que la diététique – la « bouffe » est un moment rituélique du roman –, des exercices gymniques er respiratoires, l’art de l’alcôve – d’Altavilla est un sacré baiseur ! – et aussi certains procédés occultes de visualisation psychique. Ces pratiques procurent des pouvoirs surnaturels tels que ces voyages dans l’espace qui ont lieu grâce au Yangshen, l’énergie spirituelle Yang. Cependant cette faculté de voler n’est pas tout à fait celle des voyages chamaniques car, alors que ces derniers ne sont que des voyages de l’esprit – du Yinshen diraient les taoïstes –, le voyage ici a bien une réalité « physique ».

  Et c’est ce qui arrive à Jean d’Altavilla : il acquiert ce pouvoir de voler qu’il appelle le « Vril ». Il est libre Jean, il peut voler car il s’est libéré de ses liens. La libération du narrateur en fait un héros accompli, un vîra.

  Celui qui est sans lien se conduit à son gré, il est Chakravartin, le monarque universel, celui qui fait tourner la roue du monde. Dans le Vajrayâna, on le place au dessus du Bodhisattva. Cette voie serait si ardue que, lorsqu’il parvient au terme de sa conquête, tous les êtres du monde, y compris les dieux, lui sont soumis et la mort n’a pas plus sur lui aucun pouvoir. Cette voie est celle de Jean Parvulesco. Or, ce « vril » qui confère un tel pouvoir divin à notre narrateur, qu’est-il sinon l’anagramme de « livre » ? C’est donc le livre qui, en s’écrivant, délivre le narrateur et lui donne la capacité de voler. Pour le tantrika Jean d’Altavilla, le livre est une femme ; car le corps de la femme est le seul lieu où l’homme puisse devenir ce qu’il est, découvrir les symboles de son propre « concept absolu ».

  Ce livre est Dieu. Dieu se montre à l’écrivain sous la forme d’un livre, autobiographie divine, roman total. Ce livre est la forme féminine de Dieu et c’est ainsi que l’a vu Dante : « Nel suo profondo vadi che s’interna / legato con amore in un volume, / cio che per l’universo si squaderna. » (Dans cette profondeur, j’ai vu se rencontrer / et former amoureusement d’un seul livre / tous les feuillets épars dont l’univers est fait.)

  Mais qui est cette femme ? Quel est le nom de la « Jeune Éve » ? Elle est « L ». Cette initiale –qui est donnée au lecteur dès le début du roman, dans le chapitre intitulé « Ma faute à l’égard de sainte Odile est grande. » – est une éloquente « doublure diplomatique » : l’eau dit « L ».

  « - [..] Sainte Odile, toi à qui l’on arracha les yeux pour glorifier Ta foi et pour que Tu puisses Voir au-delà du visible, je te prie, que cette eau quatre fois sainte dont je viens de me laver les yeux fasse tomber aussi, à l’instant même, la boue mortelle et noire qui recouvre secrètement les yeux de L. ; qu’elle lui rende très miraculeusement le pouvoir de regarder en face la seule et unique vérité de Dieu, afin qu’elle puisse ainsi me reconnaître à nouveau, au fond d’elle-même, selon mon identité la plus occulte, selon mon identité dogmatique ; que L. se souvienne donc à nouveau de celle qui se trouve si abyssalement cachée en elle et que moi, Jean, Chakravartin des Temps de la Fin, je suis et reste encore très secrètement celui de qui elle a reçu la Couronne Impériale » (p. 26)

  « L » nous indique le secret de l’écriture de Jean Parvulesco mais elle n’est pas le secret. Dans le roman, « L » se révèle être le personnage de Lena. Ce prénom identifie « L » à « N » et dévoile la vraie initiale du secret : cette lettre Noun qui est l’ultime « masque rayonnant de la Maîtresse du Milieu du Ciel. »(p. 298)

  « N » : la lettre du milieu du carré magique SATOR, au milieu duquel, sur la ligne verticale et la ligne horizontale, apparaît le mot « TENET » formant une croix. « N » tient la croix : elle est le Kathèkon.

Alain Santacreu

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(Ce texte reprend les grandes lignes d'un compte rendu intitulé « La Jeune Ève du Bal masqué », paru dans la revue Contrelittérature n°2 – janvier 1999).


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