Liv vit à Kvaloya avec sa mère, artiste peintre reconnue, dans un jolie maison isolée. C'est l'été, Liv n'a rien à faire qu'à trouver sa voie, après avoir terminé le lycée. Elle n'a pas d'amis, pas de passion. Elle observe les autres. Elle vit dans l'ombre d'une mère parfaite, qui maîtrise et plie son environnement à ses envies. Entre elles, peu d'échanges, elles cohabitent poliment, sans se parler, en taisant ce qui pourrait compter, couvrant tout de silence ou d'indifférence.
Parmi les distractions de Liv, il y a Kyrre, un voisin paternel et bricoleur, qui aime les légendes et loue une cabane chaque été. Et le locataire peut être une distraction aussi, à espionner. Mais cet été, c'est un peu différent : il y a ces frères disparus, noyés, compagnons de classe de Liv ; Maia, une jeune femme étrange ; Martin, un locataire aux goûts malsains ; des lettres d'une femme à propos d'un père ignoré ; des événements à la lisère du regard, que Liv ne peut saisir et qui l'emplissent de terreur. J'ai aimé ce roman étrange, sans histoire, à l'héroïne bizarre, ne cessant de commenter, avec le recul de ses 28 ans, les événements de ses 18 ans. C'est peut-être un jeu facile dans l'écriture que de maintenir l'attention des lecteurs avec ces artifices : "Ce qui me frappa comme un pressentiment, ce fut l'impression qu'il allait lui arriver quelque chose de grave et qu'au fond de lui-même, il le savait déjà" ou "Je me rappelle m'être dit que si Martin Crosbie était de ces gens qui n'aiment pas se retrouver seuls, il avait fait une grosse erreur en venant à Kvaloya - ce qui prouve à quel point j'étais naïve". Mais ça m'a bien plu. Et j'ai trouvé les images poétiques, qu'il s'agisse de la nature et des sternes très présentes, des tableaux de l'artiste, des objets, des légendes. J'aime cette ambiguïté du monde, où la réalité garde un peu de mystère, pendant cet été incertain et argenté.
"Dans la maison de Kyrre, il y avait des ombres dans les plis de toutes les couvertures, des frémissements imperceptibles dans le moindre verre d’eau ou bol de crème posé sur une table, d’infimes poches d’apocalypse dans l’étoffe de la réalité, prêtes à crever et à se répandre sur nous, de même que le premier souffle d’une tempête fond sur le rameur en haute mer. Dans la maison de Kyrre, il y avait des souvenirs d’événements réels, d’écolières et de garçons de ferme morts de longue date, sortis de chez eux aux premières lueurs du jour, cinquante ans plus tôt, et revenus dérangés – dérangés à tout jamais -, effleurés par une chose innommable, un battement d’ailes ou un courant d’air dans la tête, là où la pensée aurait dû se tenir. Kyrre croyait à toutes ces choses, mais ça n'avait aucun rapport avec les monstres et les fées... et aujourd'hui, à cause de ce que j'ai et ne puis expliquer, je m'aperçois que j'y crois aussi"
"Car si les histoires de Kyrre avaient un point commun, c'était celui-ci : peu importe la forme que nous lui donnons, ou la minutie avec laquelle il est conçu, l'ordre est une illusion et, en fin de compte, quelque chose surgira du vacarme et des ombres de l'arrière-plan et bouleversera tout ce en quoi nous sommes si décidés à croire. En tout cas, c'est ainsi que ça se passe dans les histoires - dans la vraie vie, la chose est toujours là, dissimulée en pleine vue, attendant de s'épanouir. Une tournure de phrase, une erreur, un souhait non exprimé - il n'en faut pas beaucoup pour ouvrir les vannes et laisser affluer le chaos"
"Pas d'avenir, rien que le présent et ce que je choisissais de me rappeler du passé. Car se rappeler est un choix, lorsque c'est bien fait, et personne ne peut nous contraindre à nous rappeler ce que nous choisissons de chasser de notre esprit"
"C'était ce qui me plaisait dans ces livres, je crois : le temps n'y avait pas cours"
"Ils vieillissaient à mesure qu'elle les utilisait : vêtements, livres, bijoux, jusqu'à ses pinceaux et tubes de peinture qui prenaient une patine ombreuse, couleur de paille, comme des objets oubliés au soleil. C'était l'un des miracles mineurs qui se produisaient autour d'elle, miracles que personne ne vit jamais sauf moi. Elle m'emprunter un chemisier pour la journée et me le rendait changé, l'étoffe imprégnée de cette fameuse pellicule d'or et de temps"