Poezibao donne quelques extraits de textes de l’écrivain
et propose simultanément une note de lecture de la revue, signée Isabelle Baladine Howald.
Poésie tu donnes lieu à la rescision
Tu l'accomplis cet acte
Que ne me reste-t-il quelque mie
sur la page Poésie tu es pulpe
jusqu'à même les contours de ton corps
présence tranchante d’avoisinage
du corps médiatif
qu'elle assume d'ailleurs incorpore
Non que ne me reste-t-il quelque mie sur la page
sinon que rapatriant qui ne vient
dans mes poches
le crayon se déploie dans l'hypnose sèche
moi au bas de ses moyens
du bas de ses moyens regardant vers le stylite
Je ne suis que cette girouette
qui parfois déploie un bras
qui l'attrape à la nuque qui ne laisse rien.
Charles Racine, Légende posthume, Grèges, 2013, p.74, cité in Les Carnets D’Eucharis, édition spéciale, « Charles Racine, Dans la nuit du papier », p. 31
Lorsque je viens
les cailloux craquent
sous mon pas
mes mains cherchent
ton endroit sur la pierre
ami où es-tu ami sous la pierre
le silence des fleurs blanches est-ce ta voix
le murmure de la feuille ta joie de me voir
est-ce la plume qui court
sur les ombres les feuilles couchées dans les fleurs
les mots que tu laisses
le souffle chaud qui s'appuie à mes jambes
est-ce la caresse d'une vie
les larmes qui baignent la fleur
est-ce l'ivresse de ces lieux
est-ce le long de ta mort
que s'incline ton ami
1953
Extrait de « Le Sujet est la clairière de son corps », in Légende Posthume, Éditions Grèges, 2013, p.21.
[AUTOBIOGRAPHIE]
Étant corps éclairé du sujet qui en est la clairière, corps abrégé qui danse à la lueur du sujet, eau versée corps versé dont le sujet est la clairière
L'eau me dompte me singe La nuit-le corps s'empare d'une corde dont elle joue Et l'heure tôt apparue Clairière de l'eau versée, du corps versé
Ériger la formule Stature de l'homme
Ainsi la nuit-le corps emportée par une lueur qui me révèle
Tout règne et songe La lettre pleure ailleurs parfois pleure sous une horloge, vacance du temps qui lui serait sujet, dont elle serait sujette ?
Le sujet se penche sur la vitre, d'où résulte un regard
Mourante qu'à travers un regard versé le chant me désigne
Extrait de « Rochepluie » in Le Sujet est la clairière de son corps, Légende Posthume, Éditions Grèges, 2013, p.189.
Ces deux textes sont cités par Les Carnets d’Eucharis, p.39
*
Sans cause je travaille — une rivière tranquille et subitement
la houle qui la grossit, emportant la vie et ses papiers de la berge,
prière auprès de la voirie toute-puissante —
quand la tristesse m'accable je traduis Hölderlin,
quand le sang émet sa fatigue, je traduis.
Pilotis, piquets, forêt de lances vers le ciel,
affirmations surgissant du sujet de la syncope.
Rien n'est moins lointain du voyage à travers lequel j'entrepris de me quitter.
1966/67
Extrait de « Ce qu'a tramé le pas », in Y a-t-il lieu d’écrire ?, Éditions Grèges, 2015, p.215, cité par Les Carnets d’Eucharis, p. 60.
Dans Poezibao on peut lire cette note : (note de lecture) Charles Racine, Y a-t-il lieu d'écrire", Œuvres II, par René Noël
Sur la revue :
Charles Racine : Dans la nuit du papier, numéro hors-série des Carnets d’Eucharis (2018) est une première monographie consacrée au poète suisse Charles Racine (1927-1995). Pour Nathalie Riera, Directrice de la revue, à l’initiative de cette publication, cet hommage monographique a été rendu possible grâce au concours de ceux qui ont été proches du poète, mais aussi de ceux qui ont pressenti une œuvre à venir.
Même si les signes de reconnaissance ont été nombreux, le nom de Charles Racine est resté dans l’ombre durant les années 1980/1990. Il faudra attendre 1998, trois ans après la disparition du poète, pour la parution de Ciel étonné (Éditions Fourbis), avec les préfaces de Jacques Dupin et de Martine Broda. Puis récemment, de 2013 à 2017, la publication des trois volumes des œuvres (presque) complètes aux éditions Grèges, avec les préfaces de Yves Peyré et de Jean Daive.
Toute la vie de Charles Racine sera une vie d’exil entre Zurich et Paris. Ses liens à Paris avec les poètes seront nombreux : Yves Bonnefoy et André du Bouchet le publieront dans la revue L’Éphémère (1967), André Dalmas dans Le Nouveau Commerce, Claude Esteban dans Argile et Michel Deguy dans Po&sie. Jacques Dupin l’introduira dans sa collection chez Maeght avec la publication en 1975 du recueil Le Sujet est la clairière de son corps (illustré par des gravures d’Eduardo Chillida).
Conçu sous forme de triptyque, Charles Racine : Dans la nuit du papier rassemble tous les textes publiés dans les numéros annuels des Carnets d’Eucharis des éditions 2016 et 2017, augmenté en 2018 de documents inédits, dont un long et passionnant entretien que Gudrun Racine (l’épouse du poète, dépositaire des Archives Charles Racine à Zurich) a bien voulu accorder à Alain Fabre-Catalan et qui, placé sous le signe de « À la rencontre de Charles Racine », est un document de toute importance, à dessein de nous éclairer autant sur la vie que sur l’œuvre de Charles Racine.
La coordination de cette édition spéciale assortie d’un cahier visuel en quadrichromie est assurée par le poète Alain Fabre-Catalan.
Des textes, des poèmes, des lettres, des notes, des manuscrits, des entretiens et des témoignages ont aidé à la réalisation de cet ouvrage exceptionnel diffusé en France et en Suisse.
Les Carnets d’Eucharis, édition spéciale « Charles Racine dans la nuit du papier », 2018, 104 pages (dont un Cahier visuel de 8 pages),26 € (frais de port compris) – pour commande la revue.