Toujours belle et soignée, la livraison des Carnets d’Eucharis, dirigés par Nathalie Riera, est cette fois consacrée à Charles Racine (1927-1995) sous l’efficace et fine coordination d’Alain Fabre-Catalan.
Charles Racine, à la réputation discrète mais très estimée, est le poète d’une œuvre particulière, constamment exigeante. Ses poèmes existent maintenant aux éditions Grèges, et le dossier des Carnets d’Eucharis, sous-titré « Dans la nuit du papier », vient compléter la vision que l’on peut maintenant avoir de ce poète toujours en quête. Il réunit poèmes et textes déjà publiés dans d’autres éditions de la revue, et est agrémenté de lettres, manuscrits, témoignages, textes et poèmes ainsi que d’un entretien essentiel (de même pour l’introduction) mené par Alain Fabre-Catalan avec Gudrun Racine, l’épouse du poète. D’autres entretiens, émouvants et éclairants (comme celui de son voisin et ami Gérard Zinsstag) apportent leurs témoignages vivants de ce poète toujours en déplacements extérieurs et intérieurs…
« Texte est un arrêt de justice/la vie par contre est effusion. » écrit Racine qui aura tenté de concilier les deux…
L’aspect biographie et bibliographique reprennent les éléments importants d’une vie si intimement mêlée à l’écriture, au point que celle-ci a rendu l’autre bien difficile : « Le poète succombe à la lettre qu’il trace. Mais il « poursuit sa vie » en traçant la seconde lettre, le second mot, la seconde phrase. » Ainsi peu à peu se fait le travail…
La revue s’ouvre sur une photographie du beau visage concentré de Racine, un autre beau cahier photo, dit « cahier visuel », apporte le silence du temps et de la mémoire sur les lieux et le visage du poète, ainsi que sa bibliothèque de livres et de manuscrits posés à l’horizontale.
Proche du travail de Giacometti et plus encore de celui de Tapiès, comme de celui de Paul Celan, admiratif du méconnu Guennadi Aïgui, Charles Racine aura vécu une vie de difficultés, de précarité, de déménagements constants, tout entier occupé à écrire, avec beaucoup de mal à publier tant il était exigeant. « Le poème se déploie pour ne rien laisser. Il ne reste rien » commente Frédéric Marteau, qui parle aussi justement d’une « œuvre aussi réticente ». Le reste est une sorte de pourquoi, en suspens.
A nous maintenant de lire :
« Ce que j’écris sans déployer un mythe vers hier/oppose un frontal entêtement à demain. »
A la blancheur classique de la page s’oppose la nuit qu’il faut entailler.
Isabelle Baladine Howald
Les Carnets d’Eucharis, édition spéciale « Charles Racine dans la nuit du papier », 2018, 104 pages (dont un Cahier visuel de 8 pages), 26 € (frais de port compris) – pour commande la revue.
On peut lire aussi des extraits de poèmes de Charles Racine.