Philippe Lançon: Le lambeau

Publié le 02 janvier 2019 par Jpryf1
Ce livre de Philippe Lançon a connu un très grand succès et j'ai lu  de nombreuses critiques, toutes très élogieuses.(Et ici encore et la et la   enfin) Il a reçu le prix special du Femina et je ne l’ai pourtant pas acheté jusqu’à ce qu'une amie me le conseille fortement (elle m'avait écrit c'est un livre indispensable) et je n'ai pas été déçu et ce livre est, en effet, indispensable pour connaître l'horreur des attentats. D'habitude je lis mes livres sans m'arrêter,là je me suis souvent arrêté pour digérer et pour me réserver le plaisir de la suite.
C'est d'abord un livre remarquablement écrit. Chaque phrase est à la fois belle et profonde. C'est un livre de la mémoire et du temps puisque l'auteur,victime du terrible drame de Charly Hebdo, cherche a se remémorer tous les instants qui ont précédés le drame, cherchant a tout situer avec une précision d'orfèvre même si cela lui est quelques fois très difficile et il note avec précision toutes les pensées, les impressions souvent fugaces qui lui sont venues au cours de ces différentes étapes du drame.Ce n'est donc pas un livre que l'on peut lire en diagonale. Il faut apprécier chacune des phrases, chacune des parties car elles appellent à la méditation et les pages sur la dernière conférence de rédaction de Charly Hebdo et sur le moment de l'attentat sont d'une cruauté magnifique.
Il y a , aussi, des pages très émouvantes (mais ne le sont-elles pas toutes?) comme cet échange de mail entre un journaliste et l'auteur dans lesquels le journaliste confesse qu'il s'est détourné de Philippe Lançon  blessé, le jour même de l'attentat, par peur, par lâcheté ,croit-il, et la réponse de  Philippe qui lui dit qu'il ne s'est rendu compte de rien, qu'il se garde de juger et qui, finalement console celui qui a cru fauter.
De belles pages aussi sur la souffrance et sur l'hospitalisation de longue durée, sur les multiples opérations, sur cette mise à l'écart du monde des vivants, sur ces chambres d'hôpitaux qui deviennent des mondes et sur le temps qui n'a plus la même valeur que dans la vie, sur certains qui souffrent encore plus que soi comme "le pauvre Ludo" et sur ce monde des soignants si nécessaire et si remarquable et, au passage un superbe portrait de Chloé "sa chirurgienne" comme il l'appelle., cette femme apparemment admirable. (on lira en souriant ce passage relatif à la visite de François Hollande). L'auteur noue des relations avec ses soignants et eux-même sont envahis quelques fois au point de ressentir  "la maladie des patients" que je ne connaissais pas et qui est une forme d'attachement contre lequel ils doivent lutter. Et, aussi, ces policiers chargés de le protéger, la discrétion même, et l'un d'eux qui entre dans la chambre et qui lui dit " Ma femme prie chaque soir pour vous". C'est tout mais c'est tellement, un peu comme le geste de cet ami qui lève son chapeau devant Oscar Wilde ,humilié et conduit a sa prison, geste qui bouleverse Oscar Wilde.
La blessure subie est une blessure de guerre et dans toute la reconstruction du visage qui est entrepris ce livre ne pouvait pas ne pas me rappeler  le beau recit de Marc Dugain dans "La chambre des officiers" avec cette évocation des progrès fait dans ce domaine lors d la guerre de 14 puis dans toutes les guerres suivantes.
L'auteur nous dit aussi comment la musique et la littérature l'ont aidé dans les moments difficiles et il revient sur cette lecture ,répétée lors de chaque opération, de la mort de la grand mère dans le roman de Proust.
Et on le suit jusqu’à sa première grande sortie à la campagne dans la maison de des grands parents et l'on sent alors que la vie va repartir, qui ne sera cependant jamais tout a fait l'ancienne vie.
Au total un grand livre par le style et la densité du propos et qui fait que le mot attentat n'aura plus pour moi un sens un peu abstrait mais évoquera toujours le parcours de Philippe Lançon.
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