Khalil Diallo : A l'orée du trépas

Par Gangoueus @lareus


Ce sera probablement ma dernière chronique littéraire de l’année 2018. Depuis que j’ai rencontré Abdoulaye Diallo, directeur de L'Harmattan Sénégal, au Salon International du livre d’Alger, mon regard sur cette maison d’édition a beaucoup évolué. Et pour cause. Trois livres de la filiale sénégalaise de la grande maison L’Harmattan m’ont permis de constater qu’en matière de fiction, cette structure est capable  de faire un travail d’édition rigoureux.  A l’orée du trépas, de Khalil Diallo est le troisième roman, après Ameth Guissé et Andrée-Marie Diagne Bonané...
Le profil de Khalil Diallo est différent de ces deux auteurs. Beaucoup plus jeune. 25 ans. Son angle d’attaque dans ce roman est la question du terrorisme. Une violence produite ici par des éléments de l’islamisme radical. J’aimerais vous présenter quelques éléments saillants permettant de saisir la singularité du propos de Khalil Diallo sur un sujet qui revient sur la sellette.

L'intertextualité - fil conducteur apparent ou dissimulé

Ce jeu qu’affectionne les écrivains consiste à convoquer leurs bibliothèques, des textes qui leur semblent importants dans l'oeuvre qu’ils écrivent. Cette insertion peut être visible. Khalil Diallo choisit de la marquer par une écriture italique dans une phrase qui garde néanmoins tout son sens. Dans Verre cassé ou Mémoires de porc épic, Alain Mabanckou travaillait à construire plusieurs phrases, des paragraphes faits de ce type d’invitations à d'autres lectures. Ici, on peut être certain que Khalil Diallo a de sacrés influences. Albert Camus. Gabriel Garcia Marquez. Proust. Romain Gary. Mohamed Mbougar Sarr. Et bien d’autres. Terre ceinte. C’est le deuxième niveau de cette intertextualité. Dans Terre ceinte, il y a un personnage singulier. Ismaïla. Un personnage qui échappe au contrôle de son père et qui bascule dans une radicalisation religieuse. On a le sentiment que Khalil Diallo a voulu refaire revivre ce personnage en-dedans, mélancolique et potentiellement violent. C’est je pense une manière de faire référence à Terre ceinte, même si le personnage de Diallo vient d'un milieu très différent de celui de Mbougar Sarr. Fils d’un imam et d’une mère artisane et commerçante. Son introversion prend racine dans les violences infligées à sa mère. La disparition trop rapide de cette dernière. Ce jeune homme est habité par une rage contenue qui s’exprime quand il quitte son père dans un contexte où il exprime ses griefs à ce dernier.

Exploration de la mélancolie : le cas d'Ismaïla

La construction du roman n’est pas linéaire. On croit comprendre en commençant le roman qu’Ismaïla est sur une pente très dangereuse. Et que tous les enjeux du travail de l'écrivain va consister à comprendre le pourquoi du dérapage à venir. Khalil Diallo nous tend la main. Et il nous conduit dans les errements mélancoliques d’Ismaïla. Le manque affectif, le sentiment de rejet faisant suite à la malédiction adressée contre lui par son père, puis la perte de ce dernier font de ce jeune sénégalais un élément perdu, recroquevillé sur lui-même bien qu’il fusse effectivement intégré dans la grande ville de Dakar. Ce discours mélancolique me fait penser sous certains angles à la solitude Nourou, un personnage de la trilogie Magenta de Sokhna Bousso Diarra Ndao, texte dans lequel la romancière sénégalaise explorait les dérives de la jeunesse dorée sénégalaise. On retrouve les Almadies, les coins sélect de Dakar. Et une belle romance comme alternative profonde et radicale aux errements d'Ismaïla.

Ecriture de Khalil Diallo et avis personnel

Khalil Diallo produit un roman porté par une écriture très classique dans sa forme. De ce point de vue, je pense qu’il s’inscrit dans une tradition littéraire sénégalaise. Sa prose est belle. Le roman bascule alors dans une romance doucereuse et angélique. Mais, on sent que le jeune écrivain sénégalais veut conduire son lecteur quelque part. Je ne partage pas l’évolution proposée à son personnage. C’est un désaccord profond parce qu’en littérature, ce qui fait la force d’un texte, c’est la vraisemblance des personnages. On ne comprend pas comment et pourquoi Ismaïla se perd dans le fanatisme là où il aurait dû s’opposer à une telle démarche pour des raisons que vous comprendrez en lisant ce roman. Malgré les éléments qui jonchent le parcours du lecteur. Je ne partage pas la conclusion du roman sur un thème, à savoir les conséquences d’un attentat terroriste sur une victime collatérale, qui aurait pu être très bien traité en France après les événements de Novembre 2015 à Paris ou dans n'importe quel contexte où s'exprime ce type de violence, comme au Mali ou au Burkina Faso. C’est le deuxième hic pour moi : sauf erreur de ma part, le Sénégal n’a pas connu ce type d’attentat. Pour une raison qui me semble assez évidente : au-delà du soufisme qui est l’expression dominante de l’Islam dans ce pays, la sécurité intérieure semble faire son job. Je ne comprends donc pas le plaidoyer final d’Ismaïla à la fin de ce roman. Peut-être est-ce de l’anticipation. Bref, en donnant cet avis, j’ai envie que vous me donniez vos impressions.
Khalil Diallo, A l'orée du trépasEditions L'Harmattan Sénégal, première parution en 2018