Cette réponse au quizz de Podcast Science du mois de Février (diffusée dans l'épisode Roue Libre 329) est aussi publiée sur le site de Podcast Science.
Pour écouter directement le passage, qui se trouve à 2:50, cliquer ici.
En bon représentant des parasites, je me suis permis, une fois n’est pas coutume, de supplanter l’ex-dictateur Professeur Von, aka notre bien aimé Alan, pour répondre à un quiz dont il avait, jusqu’alors, le monopole. J’ai tenté de me camoufler tant bien que mal, et pour ne pas trop dépareiller avec les habitudes d’Alan, moi aussi, j’ai mis trois plombes à répondre à la question suivante : « La Mouche qui pète ! Info ou intox ? ».
A force de passer l’extrait, vous saurez certainement l’origine de cette question : les facéties du Professeur Thibault (incarné par Alain Chabat dans divers sketchs de « les nuls »). Ce même Professeur Thibault qui, pour soutenir la recherche contre le cancer, nous intimait d’écrire à l’arc et d’envoyer des sioux, celui-là même qui analysait, une première mondiale, la composition d’une crotte de nez pour nous apprendre qu’elle était composée à 90% de merde du nez, 5% de poil du nez et 5% de morve du nez – entraînant la conclusion qui s’en impose : faut arrêter d’en manger.
Ce n’est pas le Professeur Thibault qui m’a soumis directement cette question, mais Tupe et Elodie qui, lors de notre séjour Bruxellois, ont été effarés d’apprendre que je n’y avais pas la réponse. En effet, pour ma chronique « Bière et Pets » j’avais préparé quelques anecdotes sur les flatulences qui, par manque de temps, ont été retirées de la chronique finale. Mes pérégrinations autour du thème péteux m’avaient aussi fait découvrir l’existence de l’éproctophilie, l’excitation sexuelle provoquée par les flatulences du partenaire, ou encore l’existence des très rares flatulences phalliques. Quand je leur avais raconté ce que j’allais retirer, Tupe et Elodie s’étaient demandés si on avait la réponse à la question de la mouche qui pète. Et j’en savais strictement rien… Chez les insectes, oui, car j’avais en tête les flatulences de colonies de termites par exemple… Mais les mouches ? Il allait falloir investiguer.
Comme Tupe l’annonçait dans un précédent épisode, mon premier réflexe a été de contacter Dani Rabaiotti la co-auteure avec Nick Caruso d’un livre ô combien fascinant, ‘Does It Fart?: The Definitive Field Guide to Animal Flatulence’ que l’on pourrait traduire par ‘Est-ce que ça pète ?: le guide de terrain exhaustif sur les flatulences animales’.
J’étais en effet tombé sur un tweet oh combien utile, réalisé en emoji et résumant quelques chapitres du livre où l’on apprend que les fourmis pètent, les oiseaux ne pètent pas, et les licornes pètent des arc-en-ciel.
L’histoire du livre est assez passionnante je trouve. Tout a commencé sur Twitter où une question en apparence insignifiante (est-ce que les serpents pètent ?) a tout d’abord initié un engouement autour du hashtag #DoesItFart, puis sollicité l’avis de spécialistes de la question menant au remplissage rapide d’un document en ligne collaboratif compilant les données disponibles sur les flatulences de près de 80 animaux. Au passage, des onglets supplémentaires laissent à penser que les prochains ouvrages répondront peut-être aux questions « Est-ce que ça vomit » et « Est-ce que ça éternue ». Mais parmi la liste des animaux inclus, pas de mouches et un tweet de l’auteure m’annonçait que la réponse figurerait éventuellement dans un tome 2.
Il allait falloir chercher tout seul comme un grand…
Pour mieux chercher, autant se mettre d’accord sur la définition de ce qu’est un pet. Une flatulence, c’est une émission de gaz, sortant par l’orifice postérieur. L’origine de ce gaz, ça peut être l’air qu’on avale, un dégazage du système circulatoire sanguin, du gaz produit par des réactions chimiques dans les boyaux et/ou du gaz produit par des microbes dans notre système digestif. Ces gaz n’ont pas besoin de puer et d’être audibles pour être considérés des pets. A ce propos, la plupart des pets ne sont que de l’air avalé, et donc composé de diazote et de CO2 (l’oxygène est absorbé par le corps) et peut sortir en faisant vibrer le sphincter et la peau anale, d’où le bruit (ce ne sont pas les fesses qui provoquent le bruit d’un pet). L’odeur, elle, est rajoutée au passage par les réactions détaillées précédemment, avec notamment une mention spéciale au sulfure d’hydrogène donnant l’odeur caractéristique d’œuf pourri à certains de nos prouts.
Chez les insectes, on peut déjà exclure l’origine atmosphérique de leurs pets. En effet, les insectes respirent à l’aide d’un système trachéen, une sorte de réseau de tubes qui parcourt le corps de l’animal mais n’est pas en relation étroite avec le système digestif comme nos propres poumons.
Leur système circulatoire ne sert d’ailleurs pas à la respiration et a plutôt un rôle immunitaire et de transport des nutriments. Mais les insectes ont bien un système digestif, garni en microbes, débouchant sur un bel anus et sont donc potentiellement des péteurs. Personnellement, je savais déjà que les termites pétaient parce que je réalise avec mes étudiants, des TP avec dissection de système digestif de termites pour observer la faune microbienne qu’ils abritent. Et autant vous dire que y’a du monde dans leur bidoche, notamment plein de microbes symbiotiques qui permettent à ces insectes de digérer la cellulose.
La plupart de ces microbes, pour digérer la cellulose, produisent du méthane qui est ensuite dégazé par l’anus. Les termites relarguent donc du méthane et leur contribution pourrait osciller entre 5 à 19 % du méthane produit sur notre planète. La subtilité, c’est qu’on imagine que ces gaz peuvent sortir par l’anus, tout aussi bien que par le système trachéen. Difficile de savoir si c’est uniquement par l’un, par l’autre ou par les deux par intermittence. Le fait est qu’on peut traquer l’émission de méthane des termites et qu’elle suit en partie les cycles respiratoires. Ça n’exclut pas que les termites pètent donc, et on s’imagine tout de même assez bien que ces gaz puissent s’échapper d’un orifice pas loin du lieu de production.
J’ai donc cherché à savoir si les mouches émettaient du méthane, en consultant l’article « Methane production in terrestrial arthropods » (production de méthane par des arthropodes terrestres) et là, stupeur : les seuls arthropodes producteurs de méthane sont des mille-pattes, des cafards, certains scarabées et les termites. Les diptères (le groupe d’insectes dans lequel on retrouve toutes les mouches mais aussi les moustiques, cousins et autres joyeusetés qui font bzzzz) ne produisent pas de méthane. Est-ce que ça veut dire que les mouches ne pètent pas ? Pas sûr. Déjà, il faut savoir que d’autres insectes émettent des gaz par l’anus sans que ce soit du méthane. Les larves de l’espèce de neuroptère Lomamyia latipennis sont carnivores et consomment des termites.
Sachant qu’elles font une fraction de leur poids, elles doivent les immobiliser en leur pétant une molécule encore inconnue dans leur direction. Ce n’est pas du méthane, c’est probablement ce qu’on appelle une allomone, mais ça compte bien comme un agent volatile sortant du fion : cette larve pète. Chez les odonates anisoptères (ou les libellules pour les incultes), les larves aquatiques possèdent une ampoule rectale renflée, garnie de branchies trachéennes qui leur permettent d’extraire de l’oxygène de l’eau pompée à l’intérieur de l’ampoule (elles respirent donc par le cul), mais mieux, d’accumuler de la pression dans la dite ampoule et d’éjecter violemment de l’eau par l’anus pour se propulser: cette larve de libellule pète (de l’eau, certes, donc c’est un peu triché).
Le coléoptère bombardier produit pour se défendre un mélange explosif d’hydroquinone et de peroxyde d’hydrogène qu’il expulse dans un jet bouillant sortant de l’anus : ce coléoptère pète le feu.
Et enfin, j’ai trouvé que des mesures par spectrométrie chez certaines larves de diptères identifient des émanations de dihydrogène et de H2, probablement d’origine microbienne. C’est le cas chez les larves de tipules, ce qu’on appelle communément des cousins, mais aussi chez les larves de mouches soldat noire, Hermetia illucens, qui sont souvent utilisées pour réaliser des composts. A vrai dire, le fait que ces larves d’insectes n’émettent pas de méthane, mais d’autres gaz, est une aubaine pour l’environnement car ça limite l’émission de gaz à effet de serre, et permettrait éventuellement de réaliser des fermes pour recycler des déchets organiques et récupérer des protéines d’insectes pour les entomophages amateurs.
Par contre, même interrogation que pour les termites : est-ce que ça passe par l’anus ou seulement par le système trachéen… Difficile de savoir, mais ce serait très surprenant que ce ne soit pas le cas. On peut donc dire que, très probablement, la mouche pète.
Mais je suis assez déçu qu’on ne m’ait pas posé la question : est-ce que la mouche fait péter? Alors certes, la question ne m’est pas posée, mais je vais y répondre tout de même. Car, oui ! Il est des cas cliniques où l’on a constaté que des larves de mouches pouvaient faire péter des humains atteints de myiases intestinales. Les myiases qualifient l’infestation de tissus humains par des larves de diptères (mouches et moustiques donc). Il existe (attention, ça risque de faire gerber) des myiases cutanées, oculaires, urogénitales et bien entendu intestinales. Ces dernières sont le plus souvent accidentelles et ne font pas partie (comme pour les myiases cutanées ou oculaires), d’un cycle parasitaire spécifique. En gros, ce sont des patients qui ont mangé de la nourriture remplie d’œufs de mouches qui ont éclos et survécu dans le système digestif et causent, (en plus des symptômes comme une diarrhée persistante, des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements) une propension accrue à péter. Une anecdote sympa pour se la péter en soirée !
Je finirai ce quiz par cette blague que je tiens de mon papa et qui est particulièrement à propos ici (et non pendant les dîners familiaux pendant lesquels il a l’habitude de la raconter pour la centième fois) :
c’est 2 mouches qui sont sur une crotte de chien, en train de la déguster. Soudain l’une pète. L’autre se retourne et s’exclame : « dis donc, y’en a qui essaient de manger ici ! »
Liens:
Données Publiques Does it Fart
Google Sheet Does it Fart
Article Wired
Article Io9
Article Seriously Science?
Références:
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