Chaque mois, comme je le fais pour le cinéma (dans les 10 premiers jours) et comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle littérature.
Littérature qui m'a séduit, marqué, et je tente de vous tenter à lecture.
Lire c'est beaucoup mon métier (traducteur). Je ne considère jamais vraiment que c'est travailler. C'est une manière différente de respirer. Naturel. C'est explorer de nouvelles réalités. L'espionner. La découvrir. Apprendre. On ne cesse jamais d'apprendre tant qu'on respire.
Lire c'est inspirer très fort et vivre.
Karen Blixen respirait très fort.
LA FERME AFRICAINE de KAREN BLIXEN
Karen Christentze Dinesen a été une femme extraordinaire. Une femme de lettres danoise de grande importance. Une femme importante pour les britanniques aussi, et très impliquée dans les colonies en Afrique au début du 20ème siècle. Femme nettement en avance sur son époque, pleine d'énergie de projets, d'ambitions, d'idées, femme forte dans un monde dominé d'hommes à une époque où être femme n'était qu'être second violon.
Blixen a écrit sous de multiples pseudonymes. Osceola, Pierre Andrézel, Isak Dinesen.
C'est sous le pseudonyme de Isak Dinesen, que la baronne a publié, en 1937, son roman qui sera adapté en 1984 par Sidney Pollack et largement oscarisé par la suite.
Le livre raconte les 17 années que Blixen a passé dans les colonies britanniques, au Kenya. Entre 1913 et 1930. Sans réelles chronologies, au début, chroniquant les tribulations de la plantation de café qu'elle opérera d'abord avec son époux, duquel elle se séparera, ce qui la fera gérer la plantation, qui devait être une ferme laitière avant que son époux ne change d'idée, seule. Mais elle fera aussi la rencontre du chasseur et aventurier Denys Finch Hatton, un britannique très près des Africains. Africains que nous découvrons beaucoup aussi, au travers du livre. En particulier le cuisinier avec lequel Blixen noue une relation particulière.
Hatton devient son amant, après le divorce, et on découvre aussi le grand chef Kinanjui avec lequel elle négocie souvent les choses les plus élémentaires comme l'éducation des enfants. Elle gagnera son point. On leur enseignera la lecture.
Blixen couvre aussi, dans une chronique plus près du récit, le passage dans les colonies d'Edward, le prince-de-Galles, en 1928, un événement majeur dans l'histoire du Kenya, le gouverneur obligeant même le repavage de certaines rue en prévision de la visite.
Blixen, avec sa vision candide, parfois naïvement raciste, a gagné le respect des Africains sur place, ceux-ci se tournant régulièrement vers elle afin de solutionner les conflits internes.
Blixen sera fascinée par l'amour de sa vie, Hatton, un homme si imprégné de la région et de ses gens qu'il pouvait s'y intégrer en tout temps, tout en restant totalement libre. Ça compliquera aussi sa relation avec lui quand elle s'attendra à légèrement plus d'attention de sa part et à un engagement sacré par les liens du mariages, ce que Hatton, trop indépendant, refuse. Il est accepté de croire que le bébé dont elle fera une fausse couche avait été conçu avec Hatton.
Blixen couvre aussi, dans son livre, deux procès locaux, le premier se penchant sur le cas d'un jeune garçon ayant tuer par mégarde un camarade en plus d'en viser d'autres au fusil, ne plaçant jamais l'enfant en prison, mais passant de longs jours à examiner tout ce que son père devrait donner à la famille de la victime en compensation. L'éthique y est sous la loupe d'un point de vue occidental. Le second procès se penchant sur le cas d'un européen, accusé d'être responsable par négligence, de la mort d'un de ses servants africains, jugé par lui, désobéissant.
Les deux causes opposant deux mondes mal équilibrés.
Suite au large succès du film, le livre a été parfois rebaptisé Out of Africa, du titre d'un de ses poèmes, et on a "restructuré" plusieurs passages, afin que le chronique soit plus "unie".
À lire comme un journal de séjour africain entre 1913 et 1931, du point de vue des colonies britanniques.
Et du point de vue de son coeur.
Qu'elle avait gros comme le continent.
(Blixen est aussi l'auteure de la nouvelle, adaptée en film en 1988, et Oscar du meilleur film étranger: Le Festin de Babette)