La planche à billets : dernier clou dans le cercueil de l’économie algérienne ?

Publié le 25 décembre 2018 par Unmondelibre
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C’est un pléonasme que de parler de crise économique en Algérie. De la fonte des réserves de change (baisse de plus de 50%) à la dégringolade du dinar en passant par l’inflation et le chômage en hausse, les citoyens algériens, comme d’autres pays africains riches en hydrocarbures, payent le tribut de politiques publiques douteuses et d’un modèle rentier pernicieux. Pourtant, le gouvernement algérien se mure dans le déni en mettant la crise sur le compte de la mauvaise conjoncture. Pis, depuis novembre 2017 il s’est précipité dans une fuite en avant en activant le levier du désespoir, à savoir la planche à billet. Une décision qui risque d’enterrer à jamais toute aspiration à la diversification de l’économie algérienne. Pourquoi ?

Affaiblissement du pouvoir d’achat des ménages

Les citoyens pestent sur la cherté du coût de la vie, et ils ont raison d’autant que la hausse des prix est le résultat de mauvais choix du gouvernement. En effet, le problème est déjà ancien, puisque ça remonte déjà à la politique de limitation des importations afin d’alléger soi-disant le déficit commercial et stopper l’hémorragie des devises. Aujourd’hui la liste des produits interdits d’importation a atteint près de un millier de produits, alors que l’offre locale est incapable de répondre à l’intégralité de la demande. Dès lors, il n’est pas étonnant que ce soit la porte ouverte aux pénuries et aux spéculations, conduisant à une hausse artificielle des prix. Le déficit d’offre provoqué par la limitation des importations, conjugué à la hausse de certaines taxes comme la TVA, a porté un coup fatal au pouvoir d’achat des Algériens. Si l’on en croit la dernière enquête de l’Office national des statistiques (ONS) sur la consommation des ménages algériens, aujourd’hui, un budget mensuel de 110 000 dinars (environ 783 euros) couvre à peine leurs besoins. La faute à une inflation galopante dont le taux a doublé passant de 3% en 2013 à près de 6% en 2017.

Parallèlement, les protections indues, qui plus est légales et réglementaires, accordées par le gouvernement aux alliés, copains et aux courtisans tournant dans l’orbite du pouvoir, ont fini par limiter la concurrence dans les différents secteurs d’activités, conduisant ainsi à des situations de rente (monopole ou oligopole) pour les fournisseurs qui ne se gênent pas pourfacturer à des prix exorbitants des produits de médiocre qualité. Et cerise sur le gâteau, l’activation de la planche à billet a attisé les tensions inflationnistes et précipité une chute vertigineuse du dinar. En effet, Sur les cinq dernières années le dinar algérien a perdu 54,54% de sa valeur par rapport au dollar, et 25% par rapport à l’euro. Certes l’euro s’est apprécié ces dernières années, il n’empêche que la perte de confiance dans la monnaie algérienne est surtout due à la dégradation des équilibres macroéconomiques, et le recours à la planche à billet. Ainsi, le salaire minimum moyen qui s’élève à 20 000 dinars ne vaut aujourd’hui que 168 dollars contre 260 dollars il y a 5 ans. Avec une telle dégringolade du pouvoir d’achat réel des Algériens, la consommation interne sera en berne, et qui dit moins de demande, dit moins de débouchés et par ricochet moins de croissance, enfonçant ainsi davantage l’économie dans sa torpeur.

Hausse du coût de diversification des entreprises

Avec l’injection de 34 milliards de dollars, sur une année seulement, soitl’équivalent de 20% du PIB, il était inéluctable que les entreprises algériennes subissent les effets pervers d’un tel cataclysme monétaire. D’aucuns diront que ça a réussi au Japon. D’une part, le Japon a perdu une décennie de croissance en raison de la planche à billet, et d’autre part, l’économie rentière de l’Algérie n’est pas l’économie productive du Japon. Malheureusement, dans l’histoire économique, la planche à billet n’a jamais réussi à relancer une économie quelconque, elle n’a fait que produire de l’inflation, surtout dans les économies rentières où les billets imprimés servent à financer le déficit budgétaire et le remboursement de la dette intérieure. Pis, la planche à billet est en train d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil de la diversification tant espérée par tout un peuple. Comment ? Eh bien avec l’inflation galopante, le coût des importations se renchérit pour les matières premières, les biens d’équipements, ce qui engendre la hausse de leur coût de production, réduisant ainsi la compétitivité de leurs produits par rapport aux produits étrangers. Autrement dit, la planche à billet empêche le développement, voire juste la survie, d’activités hors hydrocarbures. La faiblesse du dinar implique un manque de diversification, alors il y aura moins de devises, ce quicausera de nouvelles détériorations de la valeur du dinar. Un véritable cercle vicieux ! Conséquence, plusieurs entreprises algériennes sont aujourd’hui handicapées à cause des surcoûts entraînés par la dégringolade du dinar.

En sus de son impact négatif sur la compétitivité, l’inflation produit également un autre effet pernicieux résidant dans l’amplification du risque d’investissement pour les entrepreneurs potentiels. En effet, avec une inflation galopante, la valeur des investissements n’est plus protégée car leur valeur réelle s’érodera avec le temps. Dans un tel contexte d’incertitude et d’insécurité, les entrepreneurs n’ont plus confiance, et rechignent à se projeter à long terme dans le cadre de projets productifs. Cela ne peut que renforcer le caractère rentier de l’économie algérienne la poussant vers davantage de dépendance aux revenus des hydrocarbures.

Somme toute, se tourner vers la planche à billet est une solution de facilité et de désespoir, qui ne fera que reporter les effets de la crise. Il s’agit d’une prime à la rente car elle va détruire les quelques activités hydrocarbures qui survivent en Algérie. Plus que jamais le coût de diversification est devenu rédhibitoire. Il appartient désormais aux autorités algériennes de changer de voie et mettre le cap sur des réformes favorables au développement d’un secteur privé productif qui bien qu’annoncées, sont souvent repoussées aux calendes grecques.

Hicham El Moussaoui, Professeur HDR, Université Sultan Moulay Slimane (Maroc). Le 26 décembre 2018.