En temps normal, c'est un texte que j'aurais ignoré. Malheureusement, il m'a été adressé personnellement et il me choque profondément : cette tribune rédigée au nom d'Utocat, titrée « non, la blockchain n'est pas le gouffre énergétique qui va sceller définitivement le sorte de la planète » est un révélateur de ce qui, justement, conduit l'humanité vers une catastrophe environnementale de plus en plus inévitable.
L'argumentaire développé par l'auteure, responsable de la communication de l'éditeur de solutions technologiques pour les institutions financières, repose presque exclusivement sur des comparaisons. Ainsi, si les usages des cryptomonnaies et des blockchains dans le monde sont effectivement consommatrices d'électricité, ce ne serait (presque) rien face au gouffre de ressources naturelles que représente l'extraction d'or et au volume massif des émissions de gaz à effet de serre dues aux usages numériques.
Avant de revenir sur les défauts tragiques de ce raisonnement, écrasons immédiatement l'excuse spécifique qui voudrait que la plupart des usages, et en particulier ceux auxquels contribue Utocat, concernent des blockchains privées, par nature moins gourmandes en énergie. C'est oublier un peu vite que 99% des ces applications n'exploitent en rien les bénéfices supposés du concept et pourraient donc opérer sur des bases de données traditionnelles, considérablement moins nocives pour l'environnement.
Abordons maintenant la relativisation qui occupe l'essentiel du texte. Le premier motif du courroux qu'il m'inspire est sa stratégie de détournement de l'attention du lecteur. Il me semble relativement malhonnête de tenter de minimiser le problème de la blockchain en se référant à des activités qui, en réalité, n'ont aucun rapport avec elle : même le sujet de l'or n'est pas pertinent, si on met en regard ses utilisations variées du métal précieux avec la spéculation sur les cryptomonnaies et les applications d'entreprise !
Enfin, quels que soient les désastres écologiques qui perdurent dans d'autres domaines, l'enjeu de l'écologie ne peut JAMAIS se résumer à chercher à faire un peu mieux que les mauvais élèves. Seule une volonté de minimiser inconditionnellement l'impact de la moindre application est susceptible de nous mener dans la bonne direction. Or, il faut bien reconnaître que la blockchain ne s'inscrit pas aujourd'hui dans une telle perspective et que la seule invocation d'hypothèses d'évolution non validées, voire contestées, ne suffit pas à progresser (par exemple les mécanismes « proof of stake »).
En conséquence, les acteurs du secteur devraient consacrer moins de temps à essayer de se justifier et plutôt faire porter leurs efforts sur la conception et la mise en œuvre de vraies solutions opérationnelles, compatibles avec les enjeux de notre époque (notons que l'alibi d'une utilisation d'énergie verte pour miner les cryptomonnaies n'est guère plus valable quand on considère – logiquement – la question à l'échelle de la planète). Et cette injonction ne s'adresse évidemment pas qu'à l'écosystème de la blockchain…