L'éveil est-il la fin du monde ?

Publié le 21 décembre 2018 par Anargala

 


"L'éveil est la disparition du monde" :

dans certaines traditions non-dualistes, l'éveil est décrit comme la disparition du monde, à jamais anéanti.
Le Vedânta par exemple considère que le monde est basé sur une erreur. Quand cette dernière est corrigée, c'est l'éveil, et l'illusion engendrée par cette erreur, cesse.
Tout simplement. 

Comment savoir si l'on est éveillé ? Tant que le monde est perçu, il n'y a pas eu éveil.

Evidemment, c'est très difficile à avaler. Car le monde ne disparaît jamais définitivement. Sauf à le prendre en un sens métaphorique, ce que le Vedânta ne fait pas toujours. Tant qu'il y a un sujet et un objet, disent-ils, il y a dualité et donc ignorance.

Mais est-ce vrai ? Qu'est-ce que l'éveil ?

Il y a bien des interprétations possibles, même si l'expérience est une.

Je dirais que le monde retourne à sa source. Puis il réapparaît depuis la source, mais consciemment pour ainsi dire. Car le monde n'est pas créé par l'ignorance. Bien sûr, il y a un aveuglement, un oubli. Sans cela, le jeu de l'indivi-dualité  serait impossible. Mais la dualité est désirée, librement, sans influence d'une mystérieuse ignorance. 

Oui, il y a ignorance, mais l'ignorance est librement assumée,
comme un roi qui joue à être son propre sujet. L'ignorance n'est pas première. Elle s'enracine dans une vertigineuse liberté.

Shiva dit que le monde est créé par la conscience :

[Dieu] engendre la création grâce à sa mère.

(Shiva-sûtra III, 18)

La Mère est la conscience.

Mais on peut aussi lire :

[Dieu] engendre la création grâce à sa propre subjectivité.


Ce qui n'est pas très différent. Ou encore :

[Dieu] engendre la création grâce à des aspects de lui-même.


Ce qui complète. Le Mystère crée en se manifestant à soi même, comme un lion qui se regarde dans un miroir.

Mais comme il n'y a rien en dehors du miroir de la conscience, il n'y a qu'une conscience. La mienne, la votre : c'est une seule et même conscience. Seuls les contenus locaux varient.

Réaliser cela, c'est créer tout. Quand je m'éveille à cette intuition, "je fais et je connais tout ce que je désire", puisque je me reconnais comme la source de tout ce qui arrive.

Le monde devient alors une manifestation de ma liberté.
Comme dit un commentateur : "Cette [nouvelle] création est le signe que l'on vit dans la liberté".

L'être ignorant, conscience qui vit localement dans l'oubli d'elle-même, est le jouet de ses pensées et autres énergies corporelles. Il n'est pas créateur. Il est créé.

Mais quand la conscience s'éveille :

[Le monde et le mental] détruits [par l'éveil] réapparaissent dans la conscience unifiante des fragments de l'expérience. (III, 25)

Nous réalisons dans une plongée profonde que nous sommes le miroir infini de la conscience. Puis les reflets réapparaissent, mais reconnus comme reflets dans le miroir. Et qu'est-ce qui se reflète ? La liberté absolue du miroir, car il n'y a rien en dehors de lui. 

Nous avons une "conscience unifiante" des éléments de l'expérience. Ces "éléments" ou fragments apparaissent, comme autant de "briques" du monde. Mais ils baignent dans la conscience dont ils semble surgir comme les vagues de l'océan.

Le monde et le mental sont donc recréés. Rénovés à partir des fondations :

L'univers est fait de ses Energies. (III, 31)

La dualité réapparaît sur fond d'unité :

Quand la séparation a été éliminée, [le yogin/la yogini]

s'adonne à une autre création. (III, 37)

Ainsi, l'éveil n'est pas la fin du monde, mais la fin d'un monde.