Shai Maestro Trio à La Passerelle Saint-Brieuc, le 18 décembre 2018
Pas question de traîner au bar après la prestation impeccable du Lonely Schmitt Quartet, Shai Maestro nous attend à l'étage.
L'accès à la grande salle s'étant libéré avant la fin des manoeuvres de l'équipe de la Villa Carmélie, les places les plus prisées sont toutes occupées, tu te rabats sur un siège décentré.
Sur le podium, les instruments sont condensés sur un espace central réduit, ton placement n'est pas idéal, tu pourras admirer le dos du batteur.
Il est 20:40' lorsque Shai Maestro : piano/ Jorge Roeder : contrebasse et Ofri Nehemya : batterie, se montrent.
L'ancien pianiste d'Avishai Cohen tient à nous dévoiler l'identité de ses compagnons et la nature du récital de la soirée avant d'entrer dans le vif du sujet.
Jorge Roeder ( Pérou), first prize at the 2007 International Society Of Bassists Jazz Competition, tourne avec le prodige israélien depuis plusieurs années, il peut se targuer d'avoir accompagné d'autres sommités ( Gary Burton, Alex Acuna, Steve Lacy, Kenny Werner e a ), le tout jeune Ofri Nehemya, pas encore 25 ans, affiche lui également une carte de visite peu banale: Avishai Cohen (le contrebassiste), Aaron Goldberg, Avishai Cohen ( la trompette), Reuben Rogers ou Amit Friedman.
Ce frêle gamin, surdoué, aura été la révélation de la soirée.
Le programme est annoncé en français, après un Joyeux Noël de circonstance: il n'y a pas de setlist, nous improvisons, il est vraisemblable que nous interpréterons des extraits revisités du dernier album ( son cinquième), ' The Dream Thief' , le voleur de rêve sonne encore mieux dans le vocable de Voltaire, dit-il!
Silence monacal, les mains positionnées au dessus des touches, Shai semble se recueillir avant d'entamer un nocturne classique, Jorge et Ofri s'immiscent dans l'univers Keith Jarrett du jeune trentenaire, c'est parti pour un voyage aventureux au pays de la note bleue, les amateurs de mainstream doivent se cramponner au garde-fou, les férus de jazz libéré, dans la lignée d'un Brad Mehldau ou de Fred Hersch, se frottent les mains.
' Looking Back (Quiet Reflection)' alterne les épisodes tumultueux et les accalmies apaisantes , la plage permet à chacun d'exprimer ses émotions les plus intimes en ne perdant jamais le fil, un travail de funambules, travaillant sans filet, mais sûrs d'eux.
D'un petit signe le pianiste indique à la contrebasse d'amorcer 'The Dream Thief', Jorge vagabonde élégamment, Ofri décide de l'accompagner en tapotant ses toms et caisses claires les mains nues, nonchalamment, Shai applique ses doigts sur les touches, le morceau prend forme.
Il y a du Duke Ellington ou du Horace Silver dans ces improvisations teintées de sonorités ethniques.
Les touches impressionnistes rapprochent l'univers du jeune Israélien de celui de Debussy .
' The Dream Thief', joué live, avoisine les vingt minutes, les différentes évolutions permettent à l'auditeur de créer ses propres rêveries, tout en ayant le soin d'admirer le jeu raffiné de chacun des protagonistes.
Du grand art!
Le trio embraye sur une suite, ' What else needs to happen' ( un extrait de son dernier né) auquel il a collé ' Zafarah' de Joshua Redman, le saxophoniste dont il est fan.
La très longue plage débute sous forme de lament austère, c'est la contrebasse qui sonnera l'heure de la détente pour aiguiller l'équipage vers des terrains plus frivoles.
Le jazz pratiqué par le trio peut paraître complexe mais il n'est jamais question de masturbation intellectuelle, les improvisations restent accessibles aux non -initiés en s'adressant autant à leur âme qu'à leur intellect.
'From One Soul to Another' démarre en mode moderato cantabile, un coup d'archet sur la contrebasse entame un épisode narratif qui évoque 'Inch Allah' d'Adamo ou 'Funeral for a friend' d'Elton John, le ton est solennel, dramatique.
L'impression d'étouffement prendra fin avec l'intervention de la batterie , Shai accompagne son jeu d'un murmure discret, d'un signe de la main il sollicite la salle qui , à l'unisson, fredonne la ligne mélodique.
La communion est totale , après les dernières notes, le trio se lève, salue l'assistance et disparaît tandis qu'une bonne partie du public continue à chantonner la mélopée.
En rappel, le groupe propose ' New river, new water', un rondo impétueux, permettant à Ofri de sidérer Saint-Brieuc par un solo décoiffant.
Shai l'a regardé faire, dissimulé derrière une tenture, avant de reprendre place derrière son piano pour achever ce titre, plein d'écume, déferlant à l'image de la fameuse cascade de Banias.
Shai reprend la route en février, sa tournée passe par la Suisse, l'Allemagne, les Pays-Bas, la France et la Belgique.
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