S’il n’avait fallu voir qu’un seul film de ski cet automne, cela aurait été Zabardast. L’esprit qui se dégageait du teaser donnait le ton : les paysages présentés, le groupe et cette tour nord de Biacherahi culminant à 5880m et qui n’avait jamais été skiée. Tout ceci me donnait l’impression que tous les ingrédients pour passer un bon moment dans une salle obscure étaient réunis. Bonne nouvelle, le film est maintenant disponible en ligne.
Alors je vais aller directement à l’essentiel, j’ai passé un bon moment, un excellent moment même lors de la diffusion du film lors du dernier festival de Montagne en Scène. Je dirais que ce film de ski est tout simplement magnifique, réalisé avec justesse par Jérôme Tanon. On assiste au déroulé d’un carnet de voyage à plusieurs voix, avec plusieurs angles d’observations, mais le tout permettant de restituer parfaitement l’ambiance, l’atmosphère et les émotions qui traversent le groupe tout au long l’expé.
J’ai également eu le sentiment que j’aurais pu faire parti de cette bande de potes, au niveau de ski et d’alpinisme près, bien entendu ! Les relations entre les deux guides expérimentés que sont Yannick Graziani et Helias Millerioux et le reste du groupe de skieurs et snowboardeurs, plus adeptes des pentes vierges que des ascensions crampons piolets, sont des plus savoureuses. Elles sont même parfois touchantes notamment lorsque ceux-ci donnent les instructions et l’attitude à avoir avant qu’ils ne s’engagent dans les pentes vertigineuses, comme si une forme de “chaperonnage d’altitude” se mettait en place, tout du moins jusqu’au moment où les skieurs et snowboardeurs prennent leur envol dans la pente.
Zabardast est donc raconté comme un immense carnet de voyage, car le film reprend les notes prises par les huit membres d’expé que sont Jérôme Tanon, Thomas Delfino, Hélias Millerioux, Léo Taillefer, Pierre Frechou, Julien Nadiras, Yannick Graziani et Zak Mills. C’est aussi et surtout un immense périple dans une zone retirée de tout, à travers les immenses glaciers du Karakoram au Pakistan, au pied du mythique col du Skam La à 5600m qui sera traversé par le groupe au cours de l’expédition.
Mais au delà de ces très bons ingrédients, c’est aussi un film qui laisse une place à la dimension humaine et pas aux seuls exploits ou réalisations de premières dans des terrains vierges. Car oui, on a plus souvent l’habitude de ne voir que les réussites, que les belles pentes dans les films de ski. On a en revanche moins l’habitude de voir les moments de doutes, les renoncements. Ces moments là font aussi parti de ce film et le renoncement dans l’ascension de la tour Biacherahi par Thomas Delfino, snowboardeur de renom et qui fut à l’origine de cette expédition, est un moment fort du film. Ce moment amène beaucoup de questions sur ce qu’est l’engagement et et la prise de risque en montagne, beaucoup sur l’humilité aussi.
“Un film qui laisse une place à la dimension humaine et pas aux seuls exploits ou réalisations de premières dans des terrains vierges.”
Montrer le renoncement n’est pas de coutume. Zabardast prend le parti de l’expliquer et magnifie cette décision qui n’enlève en rien à son auteur de ses qualités de montagnard ni même de son panache. Ce moment revêt également un moment pédagogique qui devrait être vu par bons nombre de passionnés de montagne.
Alors cette fameuse Tour nord de Biacherahi a été skiée, d’autres belles pentes l’on été aussi et accompagnent cette longue traversée. Mais certains se seront posés certaines limites dans l’engagement et le risque qu’ils souhaitaient prendre dans cette aventure, et cela aussi fait partie de la montagne et à le mérite d’apparaître dans ce merveilleux film, sans jugement, avec respect pour ce qu’apporte la montagne dans son lot de décisions.
Un film à regarder absolument.
Interview
Lors du festival Montagne en Scène j’ai pu interviewer un des protagonistes de cette aventure, à savoir Thomas Delfino.
Thomas, on comprend dans ce film que tu es l’instigateur de ce projet, peux-tu nous dire comment une telle expédition a pris forme ?
Tout a commencé dans un livre. Une photo de la tour Biacherahi prise par Pierre Neyret et qui s’est retrouvé dans le livre “Les plus belles montagnes du monde“. Je me baladais dans une librairie et cette photo m’a carrément sauté au visage alors que je feuilletais les pages. Je me suis tout de suite dis que ce serait complètement fou d’aller là bas, descendre ces pentes verticales.
J’ai mis du temps pour enfin considérer la faisabilité du projet. C’est au printemps 2017, alors que j’étais en Alaska, qu’un pote, Zak Mills, m’a montré la même photo que celle dans le bouquin. Là je me suis dis que c’était le moment, qu’il fallait aller là bas, au Pakistan. Alors j’ai commencé à en parler un peu à mon sponsor principal, Picture Organic Clothing, pour voir s’ils étaient chaud de me soutenir dans ce projet.
J’ai fait des recherches, et j’ai commencé à organiser la base du voyage. Tracer l’itinéraire, me renseigner sur les porteurs, contacter Almo pour la partie production du film, puis Jérôme Tanon pour qu’il soit photographe (et qu’il se retrouve finalement aussi réalisateur du film). Pour monter l’équipe c’était assez simple, je voulais partir avec des gens en qui j’avais confiance. Léo Taillefer, c’était évident, on rentrait juste d’une super expé passée ensemble en Alaska, Zak Mills, qui m’a motivé à monter le projet, Jérôme pour avoir les meilleurs photos, Pierre Frechou, filmeur d’acier qui était aussi présent en Alaska, Julien Nadiras (ancien grimpeur de haut niveau) pour le deuxième caméraman et Hélias et Yannick pour gérer l’aspect sécu et avoir avec nous des guides expérimentés. On tenait là notre équipe de choc.
Quel était votre connaissance de l’Himalaya, aviez vous déjà effectué une expédition de ce type ?
Personnellement c’était la première fois que je me rendais dans cette partie du monde. Et je dois dire que j’ai très hâte d’y retourner. L’Asie centrale est vraiment un coin fantastique, du point de vue des montagnes bien sûr, avec la rencontre des plus grandes chaînes de montagnes du monde, Himalaya, Karakoram, Hindu Kush, Pamir, Tien Shan, Kunlun… Mais aussi du point de vue des gens qui y vivent et de leur culture. J’ai adoré le temps que nous avons passé au Pakistan, ces gens sont très accueillant et ont le cœur sur la main. Loin des préjugés que l’ont peut avoir dans nos pays occidentaux.
Pour ce qui est de la partie expédition, ce n’est pas la première fois. J’ai déjà fais deux expéditions en Alaska en 2016 et 2017 sur des glaciers, avec de gros objectifs de ride. Mais là c’était un niveau au dessus tout de même. Plus isolé et engagé que ce que j’avais pu faire, on était encore plus livré à nous même. C’est aussi ce que j’étais venu chercher, et j’ai été servi.
Pouvez vous nous en dire plus sur la logistique pour ce projet ? Quel était le poids tiré par chaque membre de l’expédition ?
Donc dans notre équipe on était 8 au total, mais avec seulement 6 luges pour pouvoir laisser les cameramans et photographes faire leur travail. On est partis de Askole avec 360 kg de matos. Si on enlève un peu de poids qu’on met dans les sacs on tractait à peu près 40kg par luge au début. Ce qui est le plus lourd dans ce genre de projet c’est tout l’équipement vidéo. Caméra, drones, trépieds, mais aussi batteries, panneaux solaires… c’est vraiment ça qui nous rajoute beaucoup de poids par rapport à une expé plus classique. Et c’est un vrai casse tête pour les filmeurs de gérer les batteries avec les conditions climatiques. Le froid et les nuages qui nous empêchent de recharger. Pierre Frechou à vraiment fait un super boulot, il n’avait pas la vie facile sur le glacier. Pendant que nous on se reposait, lui galérait avec ses batteries ou ses transfert d’images pour tout sauvegarder.
Ensuite on avait l’équipement classique, tente, duvet, lyophilisés. J’ai quand même réussi à nous ramener 20 tommes de savoie de la coopérative de Beaufort, et une quinzaine de saucissons aussi. Ça nous à vraiment aidé à tenir avec les lyoph…
Quelle distance parcouriez-vous quotidiennement avec quel dénivelé moyen ?
On avait pas énormément de dénivelé. Sur la boucle complète on est partis de Askole à 2900m pour monter jusqu’au Skam La qui est à 5600m. Ensuite quotidiennement notre progression dépendait des conditions climatiques et du terrain. Par exemple, il y a une journée où l’on a fait 4 kms dans un bon 50cm de neige fraîche et dans la tempête, c’était très dur, mais c’était important pour ensuite être le plus efficace possible pendant les journées de beau temps et ne pas perdre de temps pour nos objectifs. Au contraire le dernier jour avant de retrouver les porteurs, en partant à 17 h du camp on a fait une vingtaine de kilomètre, en finissant au clair de lune. C’était sur de la glace et en descente, c’est plus facile comme ça.
Ce qu’on ridait n’était pas non plus monstrueux, on à fait quelques runs de seulement 300 m, le mur de la Biacherahi fait 400 m, le run jusqu’en bas peut être 600 m. Le dernier jour on s’est fait avoir par l’échelle, on pensait grimper une face qui ne faisait que 300 ou 400 m mais en se rapprochant on a fini par voir que c’était beaucoup plus gros, la face faisait en fait 700 m…
Quel a été le moment le plus difficile au cours de cette expédition à titre personnel et collectif ?
Le passage du col est pour moi le moment clé de l’expé. Le point de non retour. C’était dur physiquement et moralement on s’engageait vers un endroit où l’on avait très peu d’infos. On était aussi contraint par le temps, le rendez vous avec les porteurs n’était que 5 jours plus tard et il nous restait encore au moins 70 kms à parcourir. Ça a été dur d’avaler tous ces kilomètres en rêvant de rider toutes les faces qui nous entouraient sans pouvoir s’arrêter.
Forcément beaucoup de personnes me demandent si je regrette ma décision d’avoir fait demi tour le jour de l’ascension de la tour Biacherahi, notre objectif principal, et ce qui m’a motivé à monter l’expé. Ce n’est pas une décision que je regrette, loin de là, je suis même plutôt fier d’avoir pu faire ce choix dans un moment critique. Les conditions sont ce qu’elles sont, et il y a risque objectif à prendre en compte. Ce jour là, je n’étais pas prêt à accepter ce risque. Il faisait chaud, on vanait de casser un bout de corniche et brisant une couche fragile dans le manteau (le plus gros whoumf de toute ma vie), et il fallait traverser une plaque qui sentait vraiment mauvais. Dans des endroits comme ça, lorsque l’engagement est très important, il n’y a pas de place à l’erreur, et c’est facile de se faire piéger par la montagne. Le fait qu’il y ait Yannick et Hélias pour nous faire la trace ne change rien.
A partir d’un certain niveau d’engagement les décisions nous appartiennent, et à ce moment là j’ai su rester lucide et m’écouter. C’est un sentiment profond et très intime qui a dicté mon choix. Et dans un sens je sais que je peux me faire confiance, et ça m’encourage à continuer à aller en montagne, et dans des endroits engagés.
Si vous ne deviez garder qu’une image ou un moment de cette expédition, quels seraient-ils ?
Pas une mais mille ! Les glaciers gigantesques, les pics acérés remplis de neige et de glace, notre groupe qui se serre les coudes au milieu de tout ça. Le sourire des porteurs, et les gestes des camps. Le thé, les chapatis… Tout !
Thomas, quels sont vos prochains projets respectifs ?
Forcément une expé comme celle qu’on a vécu ça rapproche, ça crée des liens. On va repartir avec Helias, accompagné d’une nouvelle équipe, pour une expé de nouveau engagée, loin de tout. 600 kilomètres d’autonomie. Mais pour savoir où, il va falloir un peu patienter. Vous pouvez nous suivre sur nos réseaux sociaux pour en savoir plus !
Sinon cet hiver je repars sur un nouveau projet de film avec Picture. Quelque chose de complètement différent. Et pareil, je ne peux pas trop en parler pour le moment. Mais cela arrivera bientôt.
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