Venise, comme un amour
Venise (ed. Unes) est un carnet silencieux, daté du 26 octobre au 2 novembre 2017.
Format d’un carnet de voyage, à l’italienne, comme il se doit pour la Sérénissime, suite de pans et de plans horizontaux, gris sombre, noir de cendres un peu plus appuyé, quelques traces rougeâtres, fondus comme un ciel d’hiver avant la neige, ocre.
Venise n’a pas de mots pour dire la beauté, la douceur, le lent et inéluctable penché vers la mer, Venise est si beau dans son mouvement, ses flottaisons, à l’écoute de l’inoubliable son mat des vaporetti accostant aux pontons de bois. La ville sans voiture est silencieuse en elle-même et ce carnet de dessins non accompagné de phrases de Jean-Gilles Badaire suit cet écho dans l’hiver qui arrive sur Venise, tendre, humide, peu visitée alors. Il y a ici de l’immobile, de l’éternel aussi, il y a ici du mouvant, de l’instant, comme ce qui scintille sur l’eau ou s‘évanouit dans l’air marin.
Venise nous porte à être, tout le reste se défait, s’en va tout seul.
Tout ce qui est couru par le touriste est ici laissé de côté.
On pense à San Michele, le cimetière où sont enterrés Pound, Brodsky et Nijinski mais à Venise, San Michele est déjà en dehors de la ville, comme seul, dans son silence pour les âmes. Mais c’est peut-être une autre rive.
Le peintre va vers la merveilleuse Torcello, petit île désuète, sans âge, où un jour de printemps je vis un accordéoniste jouer tout seul sur un chemin isolé.
Sentiers de solitude, quelques silhouettes, pilots de bois dans la mer quand on s’approche de la silencieuse.
Tout dans Venise est fantomatique, rêvé, esquissé, effleuré. Venise ne supporte pas la brutalité. Pour autant le trait est fin, précis.
Tout à la fin, un court texte au départ de Torcello vers l’arrivée à San Michele justement, qui dit le silence que Venise invite en nous, non, plus qu’une invite, une intimation.
C’est très doux mais c’est sans appel.
Venise est la plus belle ville du monde, la plus fragile.
La fragilité de Venise ici hante tout le livre, porte les dessins de Jean-Gilles Badaire à nos yeux, il a tout saisi dans son trait, l’espace d’un instant : « O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! ».
Isabelle Baladine Howald
Jean-Gilles Badaire, Venise, éditions Unes, 2018, 60 p., 24€*
*Tirage de tête, à 33 exemplaires également disponible au prix de 250 € jusqu'au 31/12/2018, puis 300 € - informations sur le site de l’éditeur