Le héros de ce roman de Matthias Zschokke vit à Berlin avec sa bien-aimée. Il s'appelle Roman. Il espère, avec ce nom, avoir du succès et atteindre le bonheur.
En attendant de remplir ces objectifs, il tient à répondre aussitôt qu'il les reçoit aux mails que sa mère, son ami B., sa tante d'Amérique, ou d'autres encore, lui envoient.
Sa mère et son ami B. voudraient bien qu'il les abatte, mais il s'essaie dans ses messages à leur donner le goût de vivre, en leur prodiguant des conseils sensés.
Il a un autre ami, mais, comme il ne se souvient jamais de son nom, il l'appelle Stoffelmeier comme le supérieur d'Adrien Monk (non cité) de la série télévisée.
Autrement, Roman, lui-même routinier, observe dans la rue les routines des êtres qu'il rencontre et ne manque pas de relever ce qu'ils ont de bizarre à ses yeux.
Ils sont surtout bizarres de par les raisonnements qu'il tient à leur sujet. Sinon, d'aucuns les trouveraient certainement d'une grande banalité, indignes d'attention.
Ses raisonnements sont alimentés par une imagination fertile, si bien que cet homme, d'apparence ordinaire, finit par se raconter des histoires surréalistes.
Il y a en lui du rêveur debout - le fait qu'il soit insomniaque n'y est peut-être pas étranger. Est-ce de l'onirisme ou de la poésie? Un peu des deux, sans doute.
En dehors des trois semaines d'été qu'il passe à voyager avec sa bien-aimée, il est plutôt sédentaire. Il se rend à son travail à vélo, ce qui lui permet là encore d'observer.
Quand sa mère meurt sans qu'il y soit pour quelque chose, Roman reçoit une carte de condoléances de sa tante d'Amérique, d'un convenu des plus ruisselant :
Il laissa tomber la carte, leva les yeux et regarda des lambeaux de nuages qui poursuivaient une corneille.
Cette attitude d'esprit, dont le titre s'inspire, est révélatrice de Roman dont on sait seulement qu'à son bureau il écrit des lettres et que, sinon, il n'a rien à raconter sur lui-même.
Il aurait bien des ambitions cinématographiques mais il n'en a pas les moyens. Alors, il se met en tête de s'exprimer sous forme d'une pièce de théâtre qu'il finit par écrire.
Il imagine dès lors ce que cette pièce donnerait avec le comédien qu'il a pressenti pour jouer le rôle d'un des cinq personnages, dont l'un dit aux autres:
Pourquoi ne suffit-il pas d'être tièdes? Les corps sont tièdes, finalement. Pourquoi est-ce que ça ne vous suffit pas de vous faner, tout simplement? Pourquoi voulez-vous vous consumer?
Francis Richard
Quand les nuages poursuivent les corneilles, Matthias Zschokke, 192 pages, Zoé (traduit de l'allemand par Isabelle Rüf)