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Gilets jaunes : un référendum sur l’ISF ? Chiche !

Publié le 19 décembre 2018 par Sylvainrakotoarison

" Le peuple au plus ardent de sa colère est pareil à un feu trop vif pour être éteint. " (Euripide, 408 avant Jésus-Christ).
Gilets jaunes : un référendum sur l’ISF ? Chiche !
On a souvent reproché au jeune Président de la République Emmanuel Macron son supposé manque de culture politique. C'était aussi probablement son plus grand handicap pendant la campagne présidentielle de 2017, et pourtant, il a été élu, peut-être grâce à un concours de circonstances (renonciation de François Hollande, échec aux primaires de Manuel Valls et Alain Juppé, affaire contre François Fillon, soutien de François Bayrou, etc.), mais dans l'histoire politique du pays, il n'y a pas eu beaucoup de personnes qui ont réussi à se faire élire à la tête de l'État, malgré le grand nombre d'ambitieux, et des concours de circonstances, il y en a toujours dans une élection.
On sent bien confusément aujourd'hui que cette culture politique manque et si un grand artiste comme Pierre Soulages est capable de dire, en parlant de l'actuel locataire de l'Élysée : " J'ai apprécié sa culture, son humanité et son ouverture. Ce n'est pas un pharaon comme l'était Mitterrand. " (dans le "Journal du dimanche" du 16 juin 2018), le "pharaonisme" de François Mitterrand avait un avantage, c'était qu'il savait arrêter les crises populaires par une décision forte. Notamment le 12 juillet 1984 quand il a fallu éteindre la guerre scolaire et qu'il a proposé un référendum sur le référendum.
Or, les mesures économiques concrètes sur le pouvoir d'achat qu'a énumérées Emmanuel Macron dans son allocution du 10 décembre 2018 et qui sont présentées au conseil des ministres de ce mercredi 19 décembre 2018 pour être votées dès le lendemain à l'Assemblée Nationale (une procédure d'une rapidité absolument inouïe qui empêche nécessairement d'en faire une bonne loi de finance pour 2019 dont on prévoit déjà une correction par un collectif budgétaire dès le printemps prochain), si elles ont apaisé un certain nombre de Français, cela n'a cependant pas suffi à éteindre le feu populaire aux ronds-points et les samedis puisqu'un sixième épisode est encore prévu ce samedi 22 décembre 2018.
Il faut être clair : à partir du moment où le gouvernement a commencé à céder, les gilets jaunes se disent qu'il faut continuer à maintenir la pression pour que le gouvernement continue à céder. Et finalement, c'est ce qu'il s'est déjà passé. Après les mesures pour aider les Français dans la transition énergétique, le gouvernement a cédé sur la hausse des taxes sur les carburants. Puis, comme le mouvement a continué, il a cédé sur la CSG des retraités, sur le SMIC, sur la défiscalisation des heures supplémentaires, etc.
Alors, on peut comprendre que, dans la débandade actuelle du pouvoir, les manifestants veulent en avoir plus, se disant que c'est une occasion historique qui ne se représentera probablement pas souvent dans le futur proche. Avec deux sentiments négatifs : le premier, celui de "le compte n'y est pas", pour en vouloir toujours plus, et le second, celui de la suspicion d'enfumage du gouvernement puisque celui-ci était prêt à détricoter ce qu'il avait commencé à tricoter (comme l'élargissement des bénéficiaires du chèque énergie, ou alors, le report de la baisse de la CSG pour les retraités, etc.).
Le problème d'Emmanuel Macron à quelques jours de Noël, c'est que le feu des gilets jaunes n'est toujours pas éteint : ni les mesures concrètes du gouvernement sur le pouvoir d'achat, ni la promesse d'un débat national, ni le froid de l'hiver, ni l'émotion légitime suscitée par l'attentat de Strasbourg (qui a tué cinq personnes), ni les huit morts et plus du millier de blessés (parfois très graves, un œil ou une main en moins) provoqués par ce mouvement n'ont réduit l'ardeur des plus motivés des gilets jaunes.
Pourquoi ? Parce qu'il fallait aussi une décision politique forte, et pas seulement des décisions économiques ou sociales.
Or, la seule décision politique forte possible sous la Cinquième République, c'est le retour au peuple. Mais ce retour au peuple ne peut pas se faire en contredisant la légitimité populaire de ceux qui sont aujourd'hui au pouvoir.
Il n'est donc évidemment pas question de la démission d'Emmanuel Macron, ce qui créerait un fâcheux précédent (et encouragerait la rue à s'opposer aux urnes), ni de dissolution de l'Assemblée Nationale qui serait une mesure suicidaire de commandant de Titanic, Jacques Chirac l'a d'ailleurs expérimenté à ses dépens le 21 avril 1997 (et tout le monde n'est pas De Gaulle version 30 mai 1968), encore moins un changement de Premier Ministre car ce ne serait pas un retour au peuple mais une simple révolution de palais. D'ailleurs, les gilets jaunes se moquent bien que ce soit Édouard Philippe, Jean-Michel Blanquer ou Jean-Yves Le Drian qui siège à Matignon, ils en veulent au seul Emmanuel Macron.
Dans les outils constitutionnels dont dispose le Président de la République, il reste alors le référendum qui est la consultation populaire par excellence. Or, quel est le sujet le plus polémique qui n'a pas encore été "résolu" (pris en compte) par le pouvoir actuel ? La suppression de l'ISF ( l'impôt de solidarité sur la fortune).
Cette mesure a été prise en 2017 dans le plus grand silence, pas le silence de son annonce (les lois de finance sont accessibles à tous, il n'y a aucun secret ni mystère ni discrétion voulue à ce sujet) mais par l'absence (étonnante) de réaction (notamment des syndicats). C'était passé comme une lettre à la poste, comme si l'élection d'Emmanuel Macron, qui a fait exploser le paysage politique français, avait laissé dans un état de sidération tous les "prescripteurs d'opinion" (je n'aime pas trop cette expression, mais elle peut recouvrir les responsables politiques, les journalistes, les syndicalistes et tous ceux qui, par leur notoriété ou leur influence économique, sociale, culturelle, ont la capacité d'influer sur l'opinion des électeurs contribuables). Aujourd'hui que l'état de grâce est passé, la suppression de l'ISF revient en pleine figure du Président de la République.
C'est un signe que la culture politique, c'est-à-dire la connaissance très précise de l'histoire politique de la France et en particulier depuis la dernière guerre, a manqué à Emmanuel Macron. Parce que le sujet de l'ISF a toujours été très sensible. Jacques Chirac a rendu responsable son échec à l'élection présidentielle de 1988, la suppression en 1987 de l'IGF (son nom à l'époque) mis en place avec l'arrivée d'un gouvernement socialo-communiste en 1981. Jacques Chirac s'est bien gardé de renouveler son erreur, une fois élu en 1995 et Nicolas Sarkozy, de nature pourtant plus transgressive, n'a, lui non plus, jamais osé supprimer l'ISF (remis en place par le gouvernement de Michel Rochard en 1989), ni d'ailleurs la réduction du temps de travail, car il avait senti que ce sujet était trop sensible pour un "intérêt" mineur et surtout symbolique.
Là aussi, soyons clairs. D'un point de vue fiscal, l'ISF ne sert pas à grand-chose. Il coûte quasiment aussi cher à le percevoir que les recettes qu'il engendre. De plus, "on dit" régulièrement qu'il décourage les investisseurs étrangers à venir investir en France. Cet argument doit être pris en compte sérieusement car la France jouit d'une occasion qu'elle doit savoir saisir, le Brexit. La France doit pouvoir être la terre d'investissement de remplacement aux yeux de tous les investisseurs qui quitteront Londres. Un rendez-vous historique à ne pas rater...
D'un point de vue symbolique, l'ISF fait partie du package de la "justice fiscale" aux yeux des Français. C'est vrai que l'idée que les riches paient plus que les pauvres est normale. Elle est pourtant peu acceptable dans le principe ici conçu car l'ISF ne taxe pas les revenus, mais le patrimoine qui peut ne pas apporter de revenus. Il ne taxe pas sur de la création de richesse mais sur un état de fait. Or, le patrimoine, il est acquis d'une manière ou d'une autre, et forcément par des revenus qui, eux, ont déjà été taxés. Bref, au même titre que l'impôt sur la succession, l'ISF est une surtaxation de choses qui ont déjà été taxées avant leur acquisition. En revanche, on peut dire que ce concept assez discutable est plutôt acceptée car il est une condition nécessaire pour la cohésion nationale et permet de maintenir le principe d'équité et de justice devant l'impôt. C'est ce principe de "justice fiscale" qui est essentiel dans l'acceptation de payer soi-même ses impôts et taxes. Ce sujet est donc bien en rapport avec la détresse originelle des gilets jaunes.
Gilets jaunes : un référendum sur l’ISF ? Chiche !
Mais être clair, c'est aussi rester lucide. Si Emmanuel Macron a fermement exclu tout retour en arrière sur la suppression de l'ISF, le gouvernement avait aussi exclu tout retour en arrière sur la hausse des taxes sur les carburants, etc. Donc, dès lors que le gouvernement a cédé sur l'un, il peut, du moins dans l'esprit des gilets jaunes, céder sur tous les points sensibles, et l'ISF en fait partie.
Et la lucidité impose deux réflexions sur l'ISF.
Premièrement, la démonstration n'est pas établie que la suppression de l'ISF a effectivement entraîné une augmentation de l'attractivité économique de la France et donc, un accroissement des investissements. Et dans tous les cas, le but, ce n'est pas l'accroissement des investissements qui n'est qu'un moyen, mais la réduction du chômage, or, celle-ci joue autant à l'Arlésienne avec Emmanuel Marcon qu'avec François Hollande. Donc, "le compte n'y est pas". En tout cas, personne (pas même les députés LREM) n'est vraiment convaincu que la suppression de l'ISF soit une bonne mesure économique, "bonne" dans le sens qu'elle tend à accroître l'activité économique, donc la croissance.
Deuxièmement, si un effet économique devait quand même se faire, on pourrait raisonnablement dire aujourd'hui que cet effet ne compenserait certainement pas toutes les pertes économiques dues au mouvement des gilets jaunes depuis le milieu du mois de novembre 2018. Le taux de croissance a été sérieusement amputé par ce mouvement et le risque, c'est que cela continue si le feu n'est pas éteint.
À mon avis, le pragmatisme doit être au rendez-vous : même si la suppression de l'ISF était une bonne mesure économique, elle ne l'est plus aujourd'hui si elle génère elle-même, à cause des gilets jaunes, une baisse d'activité durable.
Or, il y a là une occasion en or pour Emmanuel Macron d'en finir avec la crise. Il lui suffirait d'utiliser le référendum selon l'article 11 de la Constitution sur ce sujet. En utilisant cet outil, il ferait coup triple : premièrement, il ne se dédirait pas politiquement puisqu'en ayant toujours dit qu'il était pour maintenir la suppression de l'ISF, il ne reviendrait pas de lui-même en arrière ; deuxièmement, sans doute le principal, non seulement il montrerait qu'il écoute le peuple mais il ferait appel à lui, par référendum ; enfin, il se donnerait une occasion médiatique d'expliquer pourquoi il a voulu supprimer l'ISF et éventuelle, de convaincre les Français.
Et les Français trancheraient alors. Sans, évidemment, mettre son mandat présidentiel en jeu, puisque le but, justement, serait de laisser une partie de la souveraineté nationale directement dans les mains du peuple, sans vouloir faire un jeu de tout ou rien à la De Gaulle (version 1969).
Cette idée serait même très habile car en mêlant l'idée du référendum de l'idée de l'ISF, il ouvrirait une période de plusieurs semaines de débat sur l'ISF (décidé maintenant, on pourrait imaginer que le référendum ait lieu en mars 2019), et repousserait d'autant le début de la campagne des élections européennes qui, aujourd'hui, s'ouvrirait dans un contexte très défavorable au pouvoir.
Face aux "décideurs économiques" (qui, de toute façon, commencent à remettre en doute leur confiance en Emmanuel Macron car il ne semble pas capable politiquement d'éteindre le feu des gilets jaunes), Emmanuel Macron pourrait toujours expliquer que c'est le peuple qui décide, malgré lui parfois, et que le retour de l'ISF ne signifierait pas pour autant qu'il serait un signal négatif pour l'économie française, en tout cas, pas aussi négatif que ne l'est l'actuelle continuation du mouvement des gilets jaunes.
Alors, au lieu de laisser le Parti socialiste prendre l'initiative d'un référendum sur l'ISF comme ses parlementaires l'ont annoncé ce mardi 18 décembre 2018, je suggère au Président Emmanuel Macron de prendre les devants pour en avoir aussi le bénéfice politique : chiche ! Organisons un référendum sur la suppression de l'ISF ! Ce sera certainement une sortie de crise efficace... et par le haut, celui du peuple, la seule qui vaille.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 décembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Gilets jaunes : un référendum sur l'ISF ? Chiche !
Strasbourg : la France, du jaune au noir.
Allocution du Président Emmanuel Macron le 10 décembre 2018 à l'Élysée (texte intégral).
La hotte du Père MacroNoël.
Ne cassons pas nos institutions !
Vive la Cinquième République !
La réforme Macron des institutions.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Gilets jaunes : angoisse versus raison.
Allocution du Premier Ministre Édouard Philippe le 4 décembre 2018 à Matignon (texte intégral).
Gilets jaunes : est-ce un soulèvement ?
La Révolution en deux ans.
Discours du Président Emmanuel Macron le 27 novembre 2018 à l'Élysée (texte intégral).
Gilets jaunes : Emmanuel Macron explique sa transition écologique.
Christophe Castaner, à l'épreuve du feu avec les "gilets jaunes".
L'irresponsabilité majeure des "gilets jaunes".
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L'industrie de l'énergie en France.
La COP21.
GIEC : la fin du monde en direct, prochainement sur vos écrans !
Vibrez avec la NASA ...ou sans !
Le scandale de Volkswagen.
Gilets jaunes : un référendum sur l’ISF ? Chiche !
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181218-referendum-isf.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/12/19/36953057.html


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