Martial Solal par Juan Carlos HERNANDEZ
" Histoires improvisées "
En concert à Paris, salle Gaveau, mercredi 23 janvier 2019 à 20h30
Martial Solal: piano.
Lectrices adorées, lecteurs adorables, à 91 ans, l'âge actuel de Martial Solal, il est temps de faire son bilan avant de fermer définitivement le couvercle du piano. C'est ce que lui a proposé de faire, sous forme de jeu, son vieil ami Jean-Marie Salhani, fondateur des disques JMS.
La règle du jeu, la voici. 52 petits papiers dans un chapeau. Sur chaque papier, un nom propre ou commun, au maximum une phrase. Martial tirait au sort, à l'aveugle et jouait s'il était inspiré. Cela donne 19 morceaux au total.
Pas de répétition, pas de partition, pas de seconde prise. Des " Histoires improvisées " comme le titre l'indique. Chaque morceau est précédé de quelques mots de Martial Solal qui explique ce que cela lui inspire avant de le jouer.
Martial Solal explique sa démarche dans cette interview pour Culture Box du 28 novembre 2018.
" Martial Solal, compositeur de l'instant ", tel est le titre de son livre d'entretiens avec Xavier Prévost, journaliste (DVD joint où Martial parle et joue). Un titre dont cet album découle.
De ces " Histoires improvisées " ressortent d'abord sa famille: " Claudia " (16), sa fille Claudia Solal, chanteuse très favorablement connue de nos services; sa petite-fille Amalia " Chanson pour Amalia " (14) pour qui il revisite des comptines; " Eric " (4) non pas son fidèle complice depuis 1981, Eric Le Lann mais son fils, Eric Solal et pour son épouse, Anna, une " Marche nuptiale " (18). L'amour d'un père, d'un grand-père, d'un mari joué en quelques minutes d'improvisation.
Puis ses Maîtres. A commencer par " Count Basie " (1). Martial Solal s'emploie à relever une gageure. Evoquer la fameuse section de cuivres et de vents de la Swing Machine avec un piano. Il s'en sort honorablement. Après le Comte de Basie, vient nécessairement le Duc d' " Ellington " (5). L'emprise du Duke sur le Jazz est telle, comme l'explique Martial avant de jouer, que ses thèmes apparaissent sous ses doigts avec la force de l'évidence. Il y a aussi Charlie Parker avec " Be Bop " (3) joué dans le style mais citer un thème précis. Sur le piano de Martial Solal, à son domicile, figurent toujours des partitions de Franz Liszt comme exercices. Il lui rend hommage avec " Liszt " (2) joué à la manière de mais sans parodie. Pour " Le guitariste " (13), Martial a pensé logiquement à celui dont il fut le dernier pianiste, Django Reinhardt. D'où les évocations de " Nuages ".
Et puis il y a les Maîtres qui sont ou furent des amis, Kenny Clarke, le roi des batteurs pour Martial Solal a droit à un percussif " Kenny " (10). La rythmique Martial Solal, Pierre Michelot, Kenny Clarke fit les bonheurs du Club Saint Germain à Paris de la fin des années 50 au milieu des années 60. De même pour Dizzy Gillespie, qui inspire un joyeux " Dizzy " (15). Martial Solal a enregistré en duo avec deux violonistes français, Stéphane Grappelli et Didier Lockwood. Ils lui inspirent l'élégant " Il était une fois un violon " où il s'inspire, au piano, des notes étirées propres au violon. Et, forcément, son complice depuis 1968, Lee Konitz, avec " What is this, Lee ? " (17) sans rien jouer qui rappelle le standard qu'ils explorèrent durant des décennies, " What's this thing called love? ".
Après ses Maîtres, un hommage à son disciple, son seul élève, Manuel Rocheman, avec " Manuellement " (6).
Martial Solal a aussi composé pour le cinéma, gagnant au Loto, comme il le dit lui même en composant la BO du film de Jean-Luc Godard, " A bout de souffle " (7). Là, les thèmes composés pour le film reviennent. Cf vidéo sous cet article. Pour Jean-Paul Belmondo, aussi, " A bout de souffle " fut le jackpot qui lança sa carrière. Mais, lui, tourna de nouveau avec Jean-Luc Godard alors que Martial Solal n'a plus jamais composé pour lui. Belmondo et Solal se retrouvèrent chez Jean-Pierre Melville avec " Léon Morin, prêtre ". Il fallut à Martial composer une musique qui n'a rien à voir avec le Jazz. Cela donne ici, " Léon Morin " (11).
Enfin, à part la famille, les Maîtres, les amis, le disciple et le cinéma, Martial Solal a d'autres souvenirs personnels.
Les courses de chevaux avec " Au trot " (12), joué ni au pas, ni au galop mais bien au trot, justement.
L'improvisation la plus émouvante de l'album, à mon avis (avis partagé avec les critiques officiels de Jazz Magazine) est celle dédiée à sa ville natale, " Alger " (9).
Je ne connais Alger ni des lèvres ni des dents, j'avais repéré le titre de ce morceau mais pas sa place dans l'album. Pourtant, dès les premières secondes, Alger la blanche m'est apparue dominant ton bleu si bleu, O Mer Méditerranée.
Dans une interview de 2005, Martial Solal m'avait dit que son premier souvenir rythmique marquant, c'est, dans son enfance, la musique des Noirs musulmans descendus des montagnes dans les rues d'Alger. Avant les années passées à jouer de la musique de danse (Martial Solal a fait danser ma grand-tante Juliette à Alger), c'est de cette musique que Martial Solal a appris l'importance de la pulsation.
La première pulsation, c'est celle du cœur, bien sûr. C'est celle qui bat la mesure de ces " Histoires improvisées " de la première pour Count Basie à la dix-neuvième qui s'en va " N'importe où " mais pas n'importe comment. Cet album est comme un album photos. Du noir et blanc à la couleur, de 1927 (naissance à Alger) à 2018 (enregistrement de l'album à Meudon), elles sont toujours aussi vives.
" Une légende, c'est un vieil homme avec une canne, connu pour ce qu'il a fait . Moi, je le fais encore " ( Miles Davis).
, mercredi 23 janvier 2019 à 20h30. Là même où il réserva la salle pour son trio avec Guy Pedersen (contrebasse) et Martial Solal le fait encore. Avec cet album. Sur scène, à Paris, salle GaveauDaniel Humair (1962 et 1963), relançant une carrière qui stagnait alors. Jouera t-il la " Gavotte à Gaveau " (cf extrait audio sous cet article)? Vous le saurez en vous rendant à ce concert, lectrices adorées, lecteurs adorables.
Demande personnelle: Martial Solal n'a jamais enregistré pour accompagner une chanteuse. Le rendez-vous avec Carmen Mac Rae fut manqué pour une sombre histoire de production. J'attends toujours l'enregistrement en duo de Martial & Claudia Solal. Depuis bientôt 15 ans. Je ne suis pas le seul et plus le temps passe, plus je crains que ce rendez-vous là aussi ne soit manqué.
La photographie de Martial Solal est l'œuvre de l'Inimitable Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette œuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales .