Un ethnographe polonais en Micronésie

Publié le 16 décembre 2018 par Detoursdesmondes

Curieux destin que celui de Johann Stanislaus Kubary, de sa Pologne natale qu'il fuit en 1866 car jeune étudiant de 20 ans engagé dans des mouvements de résistance (mais l'histoire de ces années là semble compliquée à démêler), à son suicide à Pohnpei 30 ans plus tard (aussi mystérieux !!).
Trente années passées à être "ethnographe", collecteur, photographe, découvreur de nouvelles espèces d'oiseaux et d'insectes, travaillant pour l'administration de la Neuguinea Kompagnie après avoir été un grand pourvoyeur du museum Godeffroy !
Ses photographies précoces de Micronésie, comme ses notes, constituent de précieux témoignages, encore inexploités de nos jours :

Dans la photo ci-dessous prise dans l'ancien musée ethnographique de Berlin-Dalhem en 2015, si la figure de pignon de Palau a été collectée par Schlaginhaufen en 1909, la majorité des bols proviennent de collectes de Kubary. (1886)
Grâce à Kubary, ce sont près de 800 objets qui sont venus enrichir collections de Micronésie à Berlin.



Et parmi les collectes faites en Micronésie, il est ces sculptures étonnantes que sont les tino, représentations d'ancêtres divinisés anciennement placées dans les temples.
Le catalogue du museum Godeffroy publié par Schmeltz en 1881 fait état de 4 statues de la sorte n° 2606, 2607, 3457 et 3458.

Elles auraient été ramenées par Kubary en 1877, trois d'entre elles seraient de nos jours conservées à Hambourg alors que le quatrième serait parvenue à Berlin.
Effectivement on a pu la contempler à Dalhem. Il s'agit d'une sculpture imposante (1,72m), du nom de Sope, d'après les notes de Kubary.


Mais Kubary a collecté d'autres tino. Dans le recensement effectué par Bernard de Grunne en 1994 et réactualisé en 2013 (cf. B. de Grunne, 2013 p.213 ), il semble que 13 de ces sculptures aient été ramenées entre 1873 et 1880 par Kubary ou un agent de la compagnie Godeffroy.
Fin 1874, Kubary se rendit en Europe avec une cargaison d'artefacts et de spécimens d'histoire naturelle mais le navire Alfred qui le transportait a heurté les récifs des Îles Marshall. Kubary n'a pu sauver qu'une petite partie de ses collections... quelques sculptures (ou ce qu'il en resterait) gisent-elles encore dans des profondeurs marines ?
Le museum de Leipzig compta cinq de ces figures à un moment donné, mais en revendit trois ! Ainsi, Ernst Beyeler put-il en acquérir une, et c'est peut-être ce qui suscita son souhait d'en rassembler un grand nombre en 2009, à l'occasion d'une belle exposition intitulée La magie des images, réunissant des pièces d’Afrique, d’Océanie et d’art moderne (cf. Photo 1).


Sources :
Kaufmann Christian and Oliver Wick (eds), 2013, Nukuoro. Sculptures from Micronesia, Riehen-Munich, Fondation Beyeler-Hirmer Verlag.
La base de données du Wereldmuseum fournit 70 photographies de Kubary.
Collection de George Ortiz
Photo 1: Figures de Nukuoro, Exposition La magie des images © Fondation Beyeler 2009.
Photo 2 : Photographie de Kubary, Maison des îles Carolines, avant 1880, n° RV-A32-79, Nationaal Museum van Wereldculturen Pays-Bas.
Photos 3 et 5 de l'auteure au musée ethnographique de Berlin, 2015.
Photo 4 : Page 333 du catalogue du musée Godeffroy réalisé par Schmeltz en 1881.
Photo 6 : Jan Kubary à Palau, 1873 ? © T.D.R