Poezibao donne ici les premières pages du livre, dans la traduction de Jacques B. Brunius et propose de les lire en écoutant le début de la mise en voix, en version originale, avec Richard Burton en narrateur. On pourra aussi trouver le lien vers le texte anglais et ici même, le tout début du texte en langue originale.
PREMIÈRE VOIX : (très doucement) Pour commencer par le commencement : c'est nuit de printemps sans lune dans le petit bourg, sans étoiles et noir de bible, dans les rues aux pavés ronds, silencieuses, et dans le bois bossu, bois des amoureux et des lapins, qui boitille imperceptiblement jusqu'à la mer noir prunelle, lente, noire, noir corbeau, agitée de bateaux de pêche. Les maisons sont aveugles comme des taupes (encore que les taupes voient très clair cette nuit dans le velours reniflant des vallons), aveugles comme l'aveugle Captain Cat, là, au centre assourdi de la ville, près de la pompe et de l'horloge municipale, où les boutiques sont endeuillées et la salle des fêtes en voile de veuve. Et tous les habitants du bourg apaisé et appesanti dorment pour l'instant.
Chut ! Les bébés dorment, les fermiers, les pêcheurs, les marchands et les retraités, le cordonnier, l'instituteur, le facteur et l'aubergiste, l'entrepreneur de pompes funèbres et la femme de peu, l'ivrogne, la couturière, le prédicateur, l'agent de police, les marchandes de coques aux pieds palmés et les épouses soigneuses. Les jeunes filles gisent, mollement alitées, ou glissent dans leurs rêves, avec anneaux et trousseaux, suivies de vers luisants pour demoiselles d'honneur, dans les bas-côtés du bois résonnant d'orgues. Les garçons font des rêves méchants, rêvent de ruades dans les ranches de la nuit, et de mers de pirates. Et les chevaux, statues d'anthracite, dorment dans les prés, et les vaches dans les étables et les chiens aux nez humides dans les cours ; et les chats somnolent dans les coins obliques, ou bondissent en tapinois, se faufilant en éclair sur le nuage unique des toits. Tu peux entendre la rosée tomber, et respirer la ville silencieuse. Seuls tes yeux sont ouverts pour contempler le bourg obscur et replié, profondément endormi, ralenti. Tu es seul à entendre l'invisible pluie d'étoiles, et à l'heure plus noire qui précède l'aube, l'effleurement infime de rosée sur la mer noire, pleine de carrelets, où L'Aréthuse, Le Courlis et L'Alouette, Le Zanzibar, Le Riannan, L'Écumeur, Le Cormoran et L'Étoile galloise tanguent et roulent. Écoute. C'est la nuit qui bouge dans les rues, la lente musique processionnelle de la brise salée dans la rue du Couronnement et dans la ruelle aux Coques, c'est l'herbe qui pousse sur la colline de Llareggub, la chute de rosée, la pluie d'étoiles, le sommeil des oiseaux dans le bois lacté.
Écoute ! C'est la nuit dans la chapelle transie, trapue, où l'on cantique en bonnet, broche, et noir bombasin, en carcan-papillon et petit-noeud-lacet-de-soulier, toussant comme des biques, suçant des menthes, halleluyant sur les deux oreilles — c'est la nuit dans l'estaminet, aussi muette qu'un domino —, la nuit comme une souris chaussée de mitaines dans les greniers d'Ocky Laitier — volant comme farine noire dans le fournil de Daï Miche. C'est, dans la rue de l'Âne, le trot silencieux de cette nuit aux sabots étouffés d'algues, sur les pavés ronds et les coquilles, passant devant les rideaux tirés sur un pot de fougère, tirés sur la Citation de l'Écriture et les babioles, l'harmonium, le dressoir-reposoir, les aquarelles faites à la main, le chien de porcelaine et la boîte à thé en fer blanc peinte de roses. C'est la nuit trottinant comme un bourricot parmi les chambres douillettes de bébés. Regarde ! C'est la nuit qui se déploie sans mot dire, royalement, sous les cerisiers de la rue du Couronnement —, la nuit qui, toutes brises gantées et carguées, toute rosée écopée, traverse le cimetière de Bethesda, la nuit qui culbute devant le cabaret À l'Écusson
de la Marine. Le temps passe.
Écoute. Le temps passe. Rapproche-toi. Tu es seul à pouvoir entendre le sommeil des maisons, dans les rues, dans la nuit lente profonde salée et noire de silence, la nuit en bandelettes. Toi seul peux voir dans les chambres aveuglées de jalousies, les combinaisons-culottes et les jupons sur les chaises, les brocs et cuvettes, les verres à dentiers, le énième commandement au mur, et les portraits jaunissants des morts attendant le petit oiseau qui va sortir. Toi seul peux entendre et voir, derrière les yeux des dormeurs, les mouvements et les pays et les labyrinthes et les couleurs et les consternations et les arcs-en-ciel et les airs de chansons et les désirs et les envolées et les chutes et les désespoirs et les mers immenses de leurs songes. D'où tu es, tu peux entendre leurs rêves. Captain Cat, le capitaine au long cours en retraite, aveugle, endormi sur sa couchette dans la meilleure cabine de sa villa La Goélette, impeccable, ornée de coquillages et de bateaux
en bouteilles, rêve...
(...)
Dylan Thomas, Au bois lacté, texte français de Jacques B. Brunius, coll. quatre-vents, L'Avant Scène Théâtre, 2013, 11€, pp. 21 à 24.
To begin at the beginning:
It is spring, moonless night in the small town, starless and bible-black, the cobblestreets silent and the hunched, courters’-and-rabbits’ wood limping invisible down to the sloeblack, slow, black, crowblack, fishingboatbobbing sea. The houses are blind as moles (though moles see fine to-night in the snouting, velvet dingles) or blind as Captain Cat there in the muffled middle by the pump and the town clock, the shops in mourning, the Welfare Hall in widows’ weeds. And all the people of the lulled and dumbfound town are sleeping now.
Hush, the babies are sleeping, the farmers, the fishers, the tradesmen and pensioners, cobbler, schoolteacher, postman and publican, the undertaker and the fancy woman, drunkard, dressmaker, preacher, policeman, the webfoot cocklewomen and the tidy wives. Young girls lie bedded soft or glide in their dreams, with rings and trousseaux, bridesmaided by glowworms down the aisles of the organplaying wood. The boys are dreaming wicked or of the bucking ranches of the night and the jollyrodgered sea. And the anthracite statues of the horses sleep in the fields, and the cows in the byres, and the dogs in the wetnosed yards; and the cats nap in the slant corners or lope sly, streaking and needling, on the one cloud of the roofs.
You can hear the dew falling, and the hushed town breathing. Only your eyes are unclosed to see the black and folded town fast, and slow, asleep. And you alone can hear the invisible starfall, the darkest-beforedawn minutely dewgrazed stir of the black, dab-filled sea where the Arethusa, the Curlew and the Skylark, Zanzibar, Rhiannon, the Rover, the Cormorant, and the Star of Wales tilt and ride.
Listen. It is night moving in the streets, the processional salt slow musical wind in Coronation Street and Cockle Row, it is the grass growing on Llaregyb Hill, dewfall, starfall, the sleep of birds in Milk Wood.
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Ecouter cette pièce radiophonique, en cliquant sur ce lien.
Pour en savoir plus sur Dylan Thomas (1914-1953), voir cette fiche Wikipédia.
1. On peut lire des notes prises en lisant ce livre dans le dernier Flotoir de Florence Trocmé.
2. Jean-Christophe Bailly, Saisir, quatre aventures galloises, Seuil, 2018, p. 166. On peut appliquer cette remarque à toute pièce ou poème radiophoniques.