1 Du Marsais, 2 Louis Domairon, 3 Paul Zumthor,
Bien entendu, les deux poètes bruiteurs et " hululueurs/grondeurs/crépiteurs/froufrouteurs " ne font pas du bruit pour faire du bruit, et c'est " un boxon multiprise " qui se lit, avec maintes entrées, polémiques et satiriques. Les accumulations sonores fabriquent du phébus, dont on peut néanmoins décrypter l'obscurité (" Le phébus n'est pas si obscur [...] C'est un brouillard, dans lequel il entre quelque rayon de lumière. Mais cette lumière est trop faible pour que nous puissions distinguer les objets " 2). Le son défait le sens, et ça vous invite à regarder les mots de près pour que vous les absorbiez par les yeux afin qu'ils explosent de sens dans l'oreille interne, " les mots répétés cherchent leur sens, leur essence ", écrivent-ils. Assurément, des extraits eussent pu être publiés dans l' Anthologie des grands rhétoriqueurs3 de Paul Zumthor, si Thierry Rat et Christoph Bruneel avaient été les contemporains d'Octavien de Saint-Gelays, de Guillaume Cretin ou de Jean Molinet (à l'instar de quelques-uns de leurs antécesseurs TXTistes). C'est un texte provocateur, offensif, guerrier, qui reprend les bruits sublunaires glissés dans une " syntaxe mécano-guerrière d'une frénésie collective " pour les renvoyer à l'envoyeur, qui aussi ferraille avec une certaine poésie, une poésie de langue gentille et cucul la praline, et par conséquence fait irrévérence à la langue BCBG des poètes embobelineurs. Le phébus s'éclaire en effet grâce à quelques phrases distillées ci et là,
la démocratie est un leurre pour fornicateurs bien pensants
croassez et multipliez-vous sous les nénuphars du capital,
grenouilles vertes des marécages du vide
On l'a dit, les deux poètes frondeurs, d'une même voix, n'ont nulle intention de faire plaisir au lecteur,
les queues se dressent étendards sans glands levés
décharge de cavalerie dans les femelles matrices
vagins réceptacles décomplexés du surplus militaire
...
Façonner l'avenir avec du sperme suranné ajouter au moment propice une goutte d'actualité et l'image reflétée est bien l'image désirée, le désir sublime de se prolonger dans l'espèce dans l'idée qu'une foule une multitude de semblables garantiront la pérennité des images engendrées. (Commémorations et anniversaires, centenaires et autres points d'accumulation de formules tiendront le temps suspendu à la célébration sur l'autel de la commune supercherie)
On l'a dit.
C'est un livre d'humeur noire, et il y a " de l'humain dans l'humeur de la main qui trace ", c'est du bousculé brut et brutal destiné à faire réagir, bien sûr, et à ficher un coup de tatane dans la fourmilière endormie.
Jean-Pascal Dubost
Christoph Bruneel et Thierry Rat, No limit Tanger, Cormor en nuptial éditions, 80 p., 22€
Des Tropes ou des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, 1730
Rhétorique française, 1804
Anthologie des grands rhétoriqueurs, 10/18, 1978