Lundi 10 décembre, après quatre semaines d'un conflit social qui a muté en crise politique, Emmanuel Macron est enfin sorti de son mutisme pour annoncer des mesures censées répondre au mouvement des gilets jaunes. Alors qu'il devait s'agir d'une opération de reconquête de l'opinion (laquelle au fait ?), le résultat est loin d'être à la hauteur des espérances, tant s'en faut !
L'allocution d'Emmanuel Macron
Disons-le d'emblée, l'allocution du chef de l'État semblait plus destinée à reconquérir sa base électorale qu'à répondre aux revendications des gilets jaunes et de tous ces Français qui les soutiennent. D'où un séquençage digne d'un monarque qui, après avoir grondé son peuple en raison des violences, déclare le comprendre et lui concède quelques mesures dans le cadre de ce qu'il appelle "l'état d'urgence économique et social".
[ Source : France Culture ]
Il n'aura échappé à personne qu'Emmanuel Macron semblait très mal dans sa peau, au point d'avoir préféré enregistrer son allocution en début de soirée, afin de nous livrer une prestation tellement contrôlée qu'elle confinait à la caricature d'une simple voix off. En cherchant à maîtriser ses mots et son expression jusqu'à l'excès pendant ces treize minutes d’allocution, le président de la République aura juste réussi à démontrer qu'il ne maîtrisait plus la situation dans le pays.
Accordons-lui qu'il n'est entouré d'aucune personnalité politique de poids pour le tirer de l'ornière, et que le tour de passe-passe consistant à demander au Premier ministre d'endosser toute la responsabilité des mesures n'est d’aucun secours, tant ce dernier est politiquement insignifiant. Pour le dire autrement, Emmanuel Macron paye l'exercice d'un pouvoir très centralisé et bien trop personnalisé, où les corps intermédiaires ont été volontairement court-circuités au nom d'une présidence jupitérienne.
Nous avons tous encore en mémoire ces quelques mots prononcés par Emmanuel Macron à la suite du scandale Benalla : "On ne peut pas être chef par beau temps. S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent le chercher. Et ce responsable, il répond au peuple français, au peuple souverain." Il avait seulement oublié qu'en ce bas monde, l'hybris présidentielle se paye toujours par une némésis populaire, qui actuellement fait rire jaune...
La vraie-fausse hausse du SMIC
Les ministres répétaient ad libitum que l'allocution présidentielle devait servir à le réconcilier avec le peuple. Pourtant dès l'annonce phare de ce discours, il devenait clair qu'Emmanuel Macron avait choisi la ruse plutôt que l'humble transparence qui sied à cet exercice délicat. En effet, il a annoncé que "le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur", ce qui laisse perplexe dans un premier temps.
Le président aurait-il trouvé une martingale afin d'augmenter le salaire minimum sans douleur ? Ce d'autant que le ministre du travail se répandait dans les médias pour expliquer tout le mal qu'il pensait d'une telle augmentation :
La réalité macronienne fut à nouveau très éloignée de la réalité économique (réelle), mais il aura tout de même fallu deux heures pour que le cabinet de l'Élysée fasse l'exégèse de cette annonce présidentielle très alambiquée. Traduction en clair ? Il ne s'agit pas d'une augmentation du SMIC, mais d'un panachage de deux dispositions :
* une baisse des cotisations salariales équivalente à environ 20 euros par mois pour un salarié au SMIC à temps plein. Or, les cotisations sociales sont un salaire différé et pas un poids mort sur la fiche de paie ! Les réduire, c'est privilégier le présent sur l'avenir, et oublier l'incertitude du futur au profit de la certitude du court terme. Dès lors, quand une telle idée vient d'un chef d'État, on est en droit de s'interroger sur sa vision de l'avenir, qui vide par là même les caisses de la Sécurité sociale...
* une augmentation accélérée de la prime d’activité de 80 euros net, qui était déjà prévue mais devait s'étaler jusqu'en 2021. Pour mémoire, la prime d'activité est issue de la fusion de la prime pour l'emploi (PPE) et du RSA activité ; il s'agit d'un complément de salaire versé par la CAF aux salariés, fonctionnaires, indépendants, âgés de plus de 18 ans, résidant en France et ayant la nationalité française, qui touchent entre 0,5 et 1,2 SMIC. Son montant est calculé en fonction de la composition et des ressources du foyer, selon une formule un tantinet compliquée, d'où l'existence d'un simulateur sur le site de la CAF, qui laisse apparaître qu'en fin de compte seuls 27 % des smicards touchent la prime d'activité... Et comme elle est par nature une prestation sociale, celle-ci n'est pas prise en compte dans le calcul de la retraite !
Bref, si personne n'est assuré de voir sa fiche de paie augmenter de 100 euros net en 2019, tout le monde est certain de ne pas s'y retrouver, les ministres eux-mêmes pour commencer. Le gouvernement semble d'ailleurs s'échiner à trouver les moyens de transformer la parole macronienne en monnaie sonnante et trébuchante, parmi lesquels un versement par les URSSAF d'un chèque à tous les smicards ou une énième modification de la prime d'activité afin que tous les salariés au SMIC touchent la prime. Mais quid des salariés à temps partiel ? Quid de ceux qui gagnent un peu plus que le plafond ? Vous l'aurez compris, par ce tour de passe-passe, Emmanuel Macron vient finalement de créer une nouvelle usine à gaz (sociale) qui menace encore une fois de lui exploser en pleine figure !
Et pourtant, contrairement aux affirmations de Muriel Pénicaud, les économistes ne sont pas tous d'accord sur les conséquences d'une augmentation du SMIC sur l'emploi. Il semblerait d'ailleurs qu'en Espagne le gouvernement ait une autre vision des choses, puisqu'il vient d’augmenter le salaire minimum... de 22 % !
Défiscalisation des heures supplémentaires et prime
Lorsqu'on n'a plus d'idées pour calmer la grogne, rien de tel que de reprendre les méthodes employées par ses illustres prédécesseurs à qui on voulait pourtant définitivement faire un sort. La défiscalisation des heures supplémentaires (pas d'impôts, pas de cotisations sociales) est de ce registre, puisqu'il s'agit ni plus ni moins que de faire du Valls, qui lui-même faisait du Sarkozy sur cette question. Mais encore faut-il qu'il y ait de telles heures disponibles dans les entreprises pour les salariés... Et voilà typiquement le genre de mauvaise idée lorsque le pays fait face à un tel niveau de chômage, car elle joue contre l'emploi. Mais curieusement, cette mesure fait tressaillir de bonheur à droite tant elle avait été décriée (à juste titre) au temps de Nicolas Sarkozy.
Quant à la prime défiscalisée que Macron demande aux patrons de verser à leurs salariés, elle sera au mieux un effet d'aubaine pour ceux qui auraient de toute façon touché une prime, et une chimère pour tous les autres. Comment peut-on espérer qu'à la fin de l'année un petit employeur puisse subitement budgéter 1 000 euros de prime pour tous ses salariés ? Heureusement, le chef de l'État avait pris la précaution de faire cette demande « à tous les employeurs qui le peuvent ». Et oui, c'est parfois simple de ratisser gratis en politique...
Les retraités à la diète
Souvenez-vous, c'était naguère la grande œuvre économique d'Emmanuel Macron : transférer du pouvoir d'achat des retraités (réputés être bien dotés, mais cela fut un choix dans les années 1970) aux actifs via la hausse du taux de la contribution sociale généralisée (CSG) pour les uns et la baisse des cotisations sociales pour les autres :
[ Source : France Bleu ]
[ Source : Le Télégramme ]
Emmanuel Macron n'avait visiblement pas anticipé le mécontentement que cela allait engendrer chez les retraités et c'est pourquoi il vient d'annoncer l'annulation de la hausse de CSG pour ceux touchant moins de 2 000 euros par mois, c'est-à-dire 3,5 millions de personnes. Avant cette mesure de bon prince, il n'y avait que les retraités touchant moins de 1 200 euros environ qui en étaient exemptés ; les autres avaient vu leur taux de CSG passer de 6,6 % à 8,3 %. Mais quoi qu'il en soit, les pensions de retraite demeurent tout de même désindexées de l'inflation, ce qui pénalise toujours fortement leur pouvoir d'achat.
Le vrai financement des fausses bonnes nouvelles
Je ne pouvais terminer ce billet sans évoquer le financement de toutes ces fausses bonnes nouvelles annonces, et c'est là que cela se complique sérieusement. Le gouvernement semble en effet bien en peine de financer toutes les nouvelles promesses d'Emmanuel Macron, dont il semblait parfois découvrir la teneur en direct devant la télévision comme le reste des ménages français... Selon Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Action et des comptes publics, elles sont estimées entre 8 et 10 milliards d'euros (4 milliards de recettes fiscales en moins en raison du gel des taxes et 6 milliards pour les nouvelles mesures). Une bagatelle en somme.
On évoque même désormais dans les couloirs de l'Élysée la possibilité de taxer les grandes entreprises, ce qui confirme la panique au sommet de l'État-startup. Mieux, Emmanuel Macron a affirmé que "le dirigeant d’une entreprise française doit payer ses impôts en France et les grandes entreprises qui y font des profits doivent y payer l’impôt". Carlos Ghosn, Total, Amazon vont trembler d'autant qu'il existe une bonne centaine de conventions fiscales internationales à réviser... Lutter contre l'évasion fiscale ? Chiche, mais alors gageons que le gouvernement s'en donne vraiment les moyens, car contrairement aux déclarations de Bruno Le Maire, les négociations sur l'imposition des revenus des multinationales de l'ère numérique ont piétiné et débouché sur une souris fiscale. Pourtant de l'argent, il y en a à prendre de ce côté-ci :
[ Source : https://www.lesnumeriques.com ]
En tout état de cause, le déficit public devrait donc grimper de 2,8 à 3,4 % du PIB en 2019, ce qui a le malheur de déplaire très fortement à la Commission européenne. Mais pour rassurer Bruxelles, le gouvernement semble prêt à tout même à pratiquer un énième coup de rabot sur un budget déjà à l'os, quitte pour cela à maquiller l'opération par des titres mélioratifs comme "économies", "allègement de l'État", etc. qui cachent pourtant très mal le fait qu'à l'arrivée on reprendra dans les poches des ménages sous forme de services publics en moins une partie de ce qu'on leur aura accordé sous forme de pseudo-augmentations de salaires.
Emmanuel Macron serait bien avisé de lire l'enquête menée par Alexis Spire, sociologue et directeur de recherches au CNRS, qui concluait avec justesse que les Français ont l'impression de ne plus en avoir pour leur argent avec tous les services publics qui disparaissent de la carte, et que leur argent sert seulement à financer les dépenses de luxe d'une oligarchie politique. Bref, payer plus pour en avoir moins !
En définitive, le président de la République n'a absolument pas changé de cap et s'est contenté d'un peu de poudre de perlimpinpin pour tenter de calmer ces gilets jaunes, qui réclament des mesures pérennes pour le pouvoir d'achat, la justice fiscale et une représentation politique en phase avec les revendications de la France périphérique. Face à ces demandes légitimes, la réponse du chef de l'État n'est-elle pas le signe même du mépris ?
P.S. : l'image de ce billet provient de cet article de Courrier International.