Bertille Dutheil restitue l’ambiance de la cité des Choux de Créteil, un grand ensemble à l'architecture improbable, que l'on découvre en un gros plan intrigant sur la couverture. La forme de ces trous, avec leurs grands balcons blancs et arrondis, a donné son nom, ou plutôt son surnom à ce quartier (...) ces balcons, dans l'idée de l'architecte, étaient destinés à être végétalisme. Mais ils ne le furent jamais (p. 69).
Elle parle d'un temps situé les années 60, sans doute révolu, celui d’une immigration qui tente l’intégration, des rêves socialistes et de la difficulté déjà perceptible des parents à éduquer leurs enfants. Ce livre fait pour moi complètement écho à un autre premier roman, Les déracinés, peut-être parce que j'ai enchainé leur lecture.
Mohsin, un immigré algérien, vient de décéder. Il laisse derrière lui une lettre dans laquelle il s’accuse de la mort d’un être innocent, ainsi qu’une série de vieilles photos où il apparaît avec une enfant brune, omniprésente, Hind. Sa fille, Lydia, interroge alors ceux qui ont autrefois connu son père. En particulier les habitants du "Château", une villégiature délabrée plantée non loin de la cité des Choux et transformée par Mohsin et ses amis en maison communautaire. Mohammed, Ali, Luna, Marqus et Sakina font ainsi revivre toute une époque par leurs témoignages.
Il suinte de ce roman une forme de nostalgie acide. On croyait que l’architecture aurait une conséquence heureuse sur le destin des habitants. On imaginait que le socialisme constituait une promesse de bonheur. On pensait, en toute bonne foi, qu’un enfant ne sait pas lire uniquement parce qu'il ne le veut pas. Que de désillusions pour l’enfant en question! Mohammed raconte son enfance et la découverte tardive de son handicap, une sévère dyslexie à laquelle bien entendu les redoublements successifs ne furent d’aucun secours.
L’auteure dilue les allusions mais à partir de la page 117 j’avais compris le fin fond de l’histoire à partir de la page 117 et l’entretien du suspense sur les deux tiers restants m’a un peu agacée. Je n’ai pas apprécié la situation de voyeur dans laquelle nous sommes placés en tant que lecteur, d’autant que ce que je supposais être la vérité s’avéra l'être. Ne voulant pas spolier, je ne peux que vous dire mon malaise.
Je croyais avoir tout compris même si je me doutais bien que le terme de "fou" cachait sans doute une certaine polysémie et qu'il fallait aller au bout de la reconstitution d’une histoire familiale bousculée par le destin.
Je me suis donc demandé quelles nouvelles révélations pouvaient advenir. C'est le choix de
Bertille Dutheil de donner la parole successivement à ses personnages principaux (plusieurs, pourtant savoureux comme Adela, n'auront pas la parole) sous forme de monologues, en les faisant très peu dialoguer, et surtout sans nous transmettre directement le point de vue de la principale concernée, la fameuse Hind, qui provoqua chez moi une forme de malaise.Le titre suggère implicitement un singulier mais ils furent nombreux à être "le" fou de la jeune fille.
Il demeure que certaines voix résonnent gravement. Ali (p. 146) qui exprime parfaitement la situation : nous traversions le temps et l’espace sur la crête des comètes enflammées de notre imagination. Luna (p. 183) dont le psy recommande de faire le deuil du passé et de combattre ses réflexes habituels d'auto-dénigrement et de culpabilisation pour restaurer son estime de soi. Une évidence !
Bertille Dutheil est née en 1991 et vit à Paris. Étudiante en histoire, elle a vécu à Beyrouth pour les besoins de ses recherches.
Le fou de Hindde Bertille Dutheil, Collection : Belfond Pointillés, en librairie depuis le 16 août 2018