SCREAM (Model : Inês Fernandes Ferreira)
R A G E
Les gens sont irrationnels, insensés. Mais il y a des exceptions. Je crie parce que les exceptions sont rares. En général, j'ai envie de parler, mais aujourd'hui je dois crier. Je sens un long silence émerger de mon être, s'habiller de feu puis s'embraser goulûment dans une orgie de flammes. Le cri est strident mais personne ne l'entend. Le cri est un aveu de faiblesse arraché de force, la confession intime de l'irréparable ignominie. Le cri est un souffle qui s’éteint et se tait.
T R I S T E S S E
On pourrait croire que je suis perdu. J’aime les digressions voyez-vous. La nuit est tombée et je n'avais pas de lampe de poche. Dans les ténèbres, j'ai d'abord couru comme un fou, sans savoir, sans comprendre, désemparé, désenclavé, idiot. Puis je me suis calmé. J'ai écouté le murmure des arbres. Les grands arbres, plus vieux que moi, vénérables, sages. Toujours debout, enracinés.
P E U R
Atomisés, voilà ce que nous sommes. Chacun de son côté, isolé des autres, emmuré dans sa froide existence. Je crie car je ne vois plus d’humanité, je ne vois plus personne. Je me sens comme Charlton Heston dans « Le survivant », les rues sont désertes et tristes, irrémédiablement vides. Une présence invisible scrute mes pas. Je me sens observé mais je ne vois pas les caméras. Tout ce que je dirai pourra être retenu contre moi. Le moindre de mes faits et gestes pourra être mal interprété, m'amener à la potence.R E S P I R A T I O N
Faut juste que je me fasse à l'idée que le monde continuera à tourner sans moi. Au bord d'une rivière, un soir d'été, des jeunes seront réunis, riront, s'amuseront, se prendront en photo.
Sur un boulevard dans la grande ville, deux amoureux marcheront la main dans main et sauront bien ce que c'est d'être heureux. Dans un bled perdu au milieu de champs immenses et jaunis par le soleil brut, un poète chantera une ode inutile à la serveuse amusée. Des gens travailleront, voyageront, nageront, escaladeront, iront au cinéma. Sans moi.
P A I X
La vie trouvera le moyen de suivre sans cours. Je compte les secondes. Je m'efforce de garder les paupières ouvertes longtemps. Je n'ai aucun train à prendre, aucune carte à pointer, aucun devoir à rendre, je suis maître de mon temps, maître de mon présent, qui se prolonge, que j'aime voir se prolonger. L'air, la mer, le ciel, le vent, des mots-images qui me font du bien. Dis-le, dis-le à voix haute : air - mer - ciel - vent - sable chaud. Les pieds dans le sable chaud, un livre posé sur le drap, un soleil généreux. Je dessine un paysage simple, comme un enfant le ferait dans la classe. J'imagine les traits, les formes, les couleurs. Je respire la feuille de papier.
C'est bientôt fini, je ne suis pas pressé.
R É S I G N A T I O N
Je ne conteste pas le vent qui souffle, je ne conteste pas la pluie, ni le soleil, ni les étoiles. Je ne conteste pas le matin, ni la nuit, ni la brume qui parfois les enveloppe. Je ne conteste pas mon souffle, ni mon ombre, ni le battement de mon coeur. Pourtant, je n'en sais rien. Je n'en sais fichtrement rien. Je ne vois que ce que mes sens me permettent de voir. Je ne comprends que ce que ma finitude me permet de comprendre.
F I N
La fin du monde approche. La fin d'un monde. La fin de mon monde. Et tout l'amour qui le remplit ne pourra pas l'empêcher de couler. Je voudrais continuer à parler, à écrire, à murmurer, sentir la chaleur de ta main, savoir ta présence à mes côtés. J'ai peur de la douleur qui va me subjuguer. J'ai peur de l'abîme qui va m'engloutir. J'ai peur de ce qui vous arrivera après moi. J'ai peur pour les belles personnes que je vais quitter. Je ne sais pas ce que je dois penser. Je ne sais pas ce qui m'arrive. Je ne sais pas je ne sais plus crier, ni même gémir. Je suis comme l'enfant perdu dans la foule, une peur panique s'empare de moi, je cours dans tous les sens, comme un fou, je cherche mes parents, je ne les trouve pas, autour de moi il n'y a que des géants inconnus et indifférents à mon sort, je cours affolé, je suis tout petit et seul, je suis perdu, je ne sais pas quoi faire, mon coeur bat si fort, j'ai l'impression qu'il va se briser en mille morceaux. Le cauchemar devrait finir ici, mais rien ne l'arrête. Ce n'est pas un cauchemar, c'est l'implacable réalité perceptible qui me charrie dans son lit. Petit, je te veux vivant.