Non, ce n’est pas un article du site parodique Gorafi: la marque sud-coréenne Samsung vient d’annoncer lors de la conférence de presse de lancement de son nouveau téléphone Galaxy A8 une collaboration avec Supreme. Problème: pas avec la vraie marque Supreme, installée à New York, mais avec sa pâle copie transalpine, Supreme Italia, frabricant de contrefaçons pour les marchés italien et espagnol.
Une arnaque qui n’a pas l’air de déranger Samsung le moins du monde, puisque Leo Lau, directeur du marketing du marché chinois chez Samsung Electronics déclare sans sourciller: « nous collaborons avec la marque Supreme italienne, pas l’américaine. Supreme USA n’a pas d’autorisation de vente ni de commercialisation en Chine, et la marque italienne a acquis l’autorisation de vente et de commercialisation pour la zone Asie-Pacifique (hors Japon) ». Apparemment, les produits issus de cette collaboration ne seraient vendus que dans la zone marchande Greater China. Mais comment se fait-il qu’une marque fake arrive à prendre les autorisations de vente au nez et à la barbe de son original?
Tout a commencé en Italie lorsque des petits malins dont la société répond au nom de International Brand Firm ont constaté que la marque Supreme n’était pas déposée dans la communauté européenne. Ni une ni deux, ils ont démarré la production de fausses pièces Supreme et ont même ouvert onze boutiques affichant l’enseigne Supreme en Italie et en Espagne. En fait, James Jebbia, fondateur de Supreme USA, avait bien essayé de faire reconnaître son label en Europe, et même à deux reprises. Mais les autorités compétentes ont refusé de le faire en délibérant que “pour le consommateur moyen de langue anglaise ou romane, le sens littéral de Supreme est ‘très haute qualité’, ce qu’il pourrait percevoir comme un signe informatif sur la qualité des produits et services. (…) L’Office a estimé que la marque était également dépourvue de caractère distinctif, perçue uniquement comme un message promotionnel appréciatif et inadapté à l’identification d’une origine commerciale“.
Malgré tout, un tribunal italien avait accepté en janvier 2018 la plainte pour contrefaçon de Supreme USA contre son copieur italien et tranché en faveur des Américains. Une sentence mise à exécution en juin dernier. La police transpalpine fermait alors trois sites qui commercialisaient des produits Supreme contrefaits et saisissait plusieurs milliers de pièces. Problème: de une la décision italienne ne s’appliquait pas à l’Espagne, où le business de la contrefaçon a pu continuer sous le nom de Supreme Spain, mais surtout le premier jugement était cassé en appel en Italie par le Tribunal d’appel de Trani qui excluait la possibilité du délit de contrefaçon par le fait que “selon la jurisprudence de légalité, pour qu’une action constitue un délit, il ne suffit pas de confondre les deux marques, ni la similitude réelle du produit“. De quoi renvoyer Supreme au niveau de l’Union Européenne à nouveau. Et là, à la surprise générale, le même Office de la propriété intellectuelle qui avait été refusé par deux fois l’enregistrement de la marque à son fondateur américain a accepté de le faire à son faussaire européen!
Une situation juridique totalement ubuesque dont profite aujourd’hui Supreme Italia et son satellite Supreme Spain, puisque c’est désormais ainsi qu’il faut appeler les branches apocryphes de la marque. Fort de son enregistrement auprès de l’UE, la société International Brand Firm voit très grand pour son faux label. Outre cette collab avec Samsung, ils s’apprêtent à inaugurer un flagship store de sept étages à Pékin début 2019. D’ici là, ils ont prévu d’organiser un premier défilé de mode au Centre culturel Mercedes-Benz de Shanghaï. De quoi rendre encore plus fou de rage James Jebbia, fondateur de Supreme, dont la marque était déjà devenue la plus copiée au monde depuis sa collaboration avec Louis Vuitton, dépassant en cela, selon une étude du cabinet SEMrush, Michael Kors, Loubotin et… Louis Vuitton.
Malgré cette décision incompréhensible de l’Union européenne, il y a quand même de quoi être étonné que Samsung, numéro un mondial des ventes de smartphones devant Huawei et Apple, s’associe avec un copieur patenté, aussi puissant soit-il.