605ème semaine politique: ce glissement vers l'autocratie d'Emmanuel Macron.

Publié le 08 décembre 2018 par Juan

La violence sporadique mais souvent extrême et surmédiatisée dans quelques recoins de la capitale et de rares villes de province le samedi 1er décembre a effaré la France d'en haut et ses représentants macronistes. "Il était, et il dure toujours depuis, sur les faces ahuries de BFM, de CNews, de France 2, et d’à peu près tous les médias audiovisuels, frappées d’incompréhension radicale" commente Frédéric Lordon sur son blog. La macronista brandit les dégradations commises sur l'Arc du triomphe comme l'affront ultime fait à la République. Cette indignation de classe est une hypocrisie sociale.
La multiplication d'images de CRS débordés impressionne forcément. C'est d'abord une manipulation grossière tant l'information est à sens unique: ce seul samedi 1er décembre, acte III du mouvement Gilets Jaunes, plus de 10 000 grenades lacrymogènes ou GLI-F4 (des grenades que seule la France en Europe utilise pour le maintien de l’ordre) ont été tirées sur les manifestants et les casseurs par les forces de l'ordre. On médiatise d'abord la violence contre les CRS et les biens (Arc-de-Triomphe, vitrines etc), on cache les images insoutenables de blessés et de mutilations parmi les manifestants. Un collectif d'avocats se décide à porter plainte contre les violences policières.
Premier constat, le chantage.
Toute la semaine, la Macronista déroule un scenario implacable: d'abord un storytelling effrayant pour faire peur dans les chaumières de la France profonde et âgée, appuyée par des tribunes ubuesques de stars millionnaires.
On efface la France invisible derrière les "casseurs" ou les "ultras". On enfouit les revendications populaires sous une avalanche de menaces de représailles, d'appels à ne pas manifester et à rester chez soi, de fantasmes du "Samedi Noir" et autre "Grand Soir": reportages sur des magasins qui se barricadent ou des touristes terrorisés, annulation de spectacle, JT consacrés aux "casseurs", employés municipaux qui démontent tout ce qui pourrait servir de projectiles près des grandes avenues parisiennes....
La France doit avoir peur, tel est le mot d'ordre macroniste.
Ensuite, avec le concours de quelques complices médiatiques, on tente de convaincre que ce mouvement est manipulé par l'extrême droite. On voit ainsi Patrick Cohen, l'ex-star déchue du journal de France inter s'exclamer à la télévision: "derrière les Gilets Jaunes, il y a des Gilets bruns".  Pas un mot, ou si peu, sur les antifas qui tentent de virer la racaille d'extrême droite, ou l'extrême diversité du mouvement.
Les trolls macronistes choisissent aussi un harcèlement ciblé sur une moins d'une poignée de figures de racailles fascisantes du mouvement pour mieux caricaturer l'ensemble des Gilets Jaunes. On agite un sondage dont la fiabilité de l'échantillon laisse pantois selon lequel 47% des Gilets Jaunes auraient voté Marine Le Pen à la présidentielle de 2017.
Bref... il s'agit pour le pouvoir macroniste et les plus ultras de ses fans de tenter de rejouer le chantage "Macron contre Le Pen" qui a si bien réussi à Jupiter pour se propulser à l’Élysée en 2017.
Pourtant, à y regarder de plus près, les marqueurs idéologiques de l'extrême droite sont peu présents parmi les Gilets Jaunes: le poujadisme fiscal des débuts a quasiment disparu, la question migratoire et son cortège de délires xénophobes sont marginaux. Mieux, comme le remarque le Monde, les principaux mots d'ordre sont au contraire sociaux, et aux deux tiers alignés sur le programme politique des insoumis et de la gauche: rétablissement de l'ISF, hausse du SMIC, revalorisation des minima sociaux, plus grande justice fiscale, amélioration des services publics dans les zones rurales, périphériques et populaires, etc.
Le simple rétablissement de l'ISF est devenu un étendard. L'ISF a pris une importance aussi que le mensonge de Macron à son propos était grand: "Macron a (...) cherché à justifier la suppression de l’ISF par l’idée que cet impôt suscitait une hémorragie des patrimoines hors de France. Le problème est que cette affirmation est totalement fausse d’un point de vue factuel. On observe depuis 1990 une hausse spectaculaire et continue du nombre et des montants des patrimoines déclarés à l’ISF. (...) les recettes de l’ISF ont plus que quadruplé entre 1990 et 2017, passant de 1 milliard à plus de 4 milliards d’euros, alors que le PIB nominal était multiplié par deux." Thomas Piketty, Le Monde 7 décembre 2018.

Second constat, le pouvoir a peur. 

La trouille est manifeste: "Ce sont les secteurs les plus populaires qui marchent devant l'action" résume Mélenchon. 
Dimanche, Emmanuel Macron est simplement stupéfait. Sur la scène internationale, il a perdu tout crédit.  Les autocrates russe, iranien et turc gloussent et s'amusent à s'indigner officiellement des "violences policières contre la population civile". Vu de l'étranger, le film des évènements, relayé en boucle par les chaînes d'information, détruit la crédibilité du donneur de leçon jupitérien.
Macron se planque à l’Élysée, convoque ses ministres. Il ne vire pas Christophe Castaner, pourtant coupable d'un échec inouï de sécurisation qui avait coincé l'essentiel des forces de l'ordre à Paris dans une micro-zone autour des Champs Élysées. Macron se tait et se planque. Il prend son Falcon présidentiel depuis Vélizy-Villacoublay pour se rendre à cinq cent kilomètres de là à la préfecture du Puy-en-Velay, qui avait failli brûler la veille avec quelques personnels à l'intérieur. Quand il baisse la vitre de sa voiture blindée pour saluer quelques passants, il se fait huer à l'arrivée aux cris de "Macron démission !" et fait accélérer le convoi devant une petite foule menaçante qui le poursuit.
Macron incarne les haines et la colère populaire autant qu'il incarne la classe d'en haut qu'il sert avec attention depuis son élection.
La trouille est manifeste car la mobilisation prend de l'ampleur. Les routiers avertissent d'une grève le dimanche suivant (qu'ils annulent samedi 8 décembre). Les cheminots pour le 14 décembre. Et surtout des milliers de lycéens rejoignent le mouvement de protestation, avec leurs propres mots d'ordre - contre l'ineffable Parcoursup et la sélection à l'université, les suppressions de postes dans l'Education et la réforme du bac, quelque 400 lycées, en majorité professionnels donc populaires, sont partiellement ou entièrement bloqués.
Même les plus fidèles jupitériens reconnaissent l'échec de Macron. Ainsi couine Christophe Barbier: "on voit bien que l'échec du pouvoir, c'est de devoir aujourd'hui changer de politique."
Macron "appelle à l'aide", constate le Monde. Il appelle les syndicats, les partis, les associations à tenter de maitriser cette révolution citoyenne qui semble se mette en branle. Macron a peur, ses soutiens ont peur.
Gérald Darmanin tente de défendre: il est trop tôt de juger. Les riches ne viennent d'avoir leur cadeau ISF que "depuis quelques semaines". La belle affaire, le gros mensonge. La suppression de l'ISF est connue et votée depuis octobre 2017. Les décisions d'investissement s'anticipent. Sa collègue Muriel Pénicaud panique. Sur les réseaux sociaux, la ministre du Travail, celle-là même qui réclamait une baisse des indemnisations chômage et des arrêts maladie, "en appelle aux entreprises" pour "négocier les salaires en entreprises/branches", "accélérer l’égalité des salaires", et "mieux partager la valeur créée"
Fichtre, foutre la trouille, ça paye en Macronie.
Mardi, Macron fait mine de céder sur l'ISF - il fait savoir qu'une évaluation du "ruissellement" des 4 milliards d'euros dégagés par la suppression de l'ISF sera conduite par des parlementaires et des experts. Mais, prévient-il, pas question de revenir sur sa mesure. La suppression de l'ISF votée en 2017 est un "marqueur". Il a raison. Il va politiquement mourir avec comme Sarko en son temps avec le bouclier fiscal.
Mercredi, Édouard Philippe promet une "suspension" de la hausse des taxes sur les carburants. Le soir même, l’Élysée publie un communiqué signifiant l'arrêt pur et simple de cette mesure. De son côté, le MEDEF, poussé par le gouvernement, lâche le principe d'une "prime exceptionnelle" pour apaiser les esprits.
Macron a la trouille. 
Il se tait.
Il attend.
Troisième constat: la répression.
Jeudi, un policier filme et raille 153 lycéens de Mantes-la-Jolie, tous agenouillés, les mains sur la tête, regard vers le sol, entourés d'une cinquantaine de policiers casqués et masqués. On entend sa voix moqueuse, et un autre qui gronde: "les mains sur la tête, on  regarde droit devant!" à un garçon remonte son pantalon.
Sommes-nous en guerre ? Des sondages truqués ou tronqués se multiplient pour valider que ces jeunes l'ont "bien cherché". Cette troupe de mineurs a été attrapée après des faits de violence de quelques-uns. Les gardes à vue qui s'en suivent, sans avocat, sont illégales. Les avocats protestent, inaudibles.
Violence sporadique contre humiliation d’État.
A plusieurs endroits en France, les flics tirent et blessent. Flash-balls au visage ou main arrachée, mutilations à la grenade explosive GLI-F4.
Il a suffi de quelques casseurs, idiots utiles et complices involontaires ou pas du pouvoir, pour qu'une répression aveugle se mette en place avec le soutien minoritaire mais significatif de la frange la plus aisée de la population.
Selon un sondage publié par IFOP après les manifestations du 1er décembre, c'est justement chez les sympathisants macronistes que l'on trouve la plus forte proportion de zélés sécuritaires prompts à suspendre les libertés publiques au nom de la défense de la France d'en haut: quelque 74% des sympathisants macronistes souhaitent l'instauration de l'état d'urgence. C'est le plus haut score de tous les mouvements politiques, loin devant les insoumis, l'extrême droite, les socialistes ou la droite LR. La répression par tous les moyens est la réponse immédiate de la bourgeoisie effrayée. Et les médias dominants se rangent, dociles. 

Plus largement, l'ampleur de la répression, que d'aucuns jugent de plus en plus justifiée, interpelle: en trois semaines, on dénombre 820 blessés civils (200 chez les forces de l’ordre), 1600 arrestations et 1400 placements en garde à vue.
Samedi, re-belotte, en pire - plus de 100 000 manifestants dans le pays. Des véhicules blindés stationnent place de l’Étoile, 89 000 policiers et militaires sont déployés en France, et les arrestations préventives de manifestants se multiplient: plus de 300 dès 9 heures du matin, alors qu'aucun fait de violence n'est pourtant recensé, puis 600 à la mi-journée. Les Gilets Jaunes font des sit-ins, bras sur la tête comme un hommage aux lycéens de Mantes La Jolie. Des cortèges rejoignent celui des défilés pour le climat: "fin de mois difficiles et fin du monde, les responsables sont les mêmes, les combats aussi" résume Mélenchon.

Les premiers heurts ne débutent que vers 14h à Paris, puis Bordeaux.
Ailleurs, des occupations de ronds-points, des barrages filtrants, des défilés pacifistes et bon enfant. A Pars, Toulouse ou Bordeaux, la pression monte puisque les forces de sécurité choisissent de "nasser" pour filtrer. Des journalistes du JDD et du Figaro font l'amère expérience des charges policières sans distinction. Sur les réseaux sociaux, mais pas sur les chaînes d'information, les clichés et vidéos de blessés se succèdent. On dénombre plus de 50 blessés civils.
L'autocratie commence là. C'est un lent glissement vers le libéral-fascisme, un régime qui promeut la libéralisation de l'économie et précarise les classes laborieuses et moyennes pourtant majoritaires, et qui "en même temps" reste sourd, violent et répressif contre leurs souffrances et doléances. Ce gouvernement choisit de ne rien écouter, il s'obstine et réprime sous les encouragements bruyants des V.I.P. de la France d'en haut. Les supporteurs prétendument libéraux soudainement effrayés applaudissent même aux séquestrations préventives, aux humiliations publiques de ces gueux qui ont tagué l'Arc de Triomphe. De quel état de droit parle-t-on ? Celui qui respecte l'exigence démocratique et le droit des personnes, ou cette violence d'Etat, arbitraire mais légale et validée par toutes ces lois sécuritaires depuis l'aube des années 2000 jusqu'à l'inclusion de l'état d'urgence dans le droit ordinaire par Macron en 2017 ?

De quel état de droit parle-t-on ?
Quand on justifie ainsi cette double violence contre le plus grand nombre sous prétexte des excès de quelques-uns - violence sociale par le mépris, et violence physique par cette répression, la République s'affaisse. 
 Au soir du 8 décembre, aucun mort, mais de nombreux blessés, le compteur des arrestations a grimpé à près de 3000 depuis le début du mouvement. Quelques députés macronistes promettent une intervention publique de leur monarque en début de semaine. Macron aurait du cran et de l'honnêteté s'il provoquait de nouvelles élections. Après tout, il fait  répéter sur toutes les ondes par ses snipers et supporteurs qu'il a la majorité du pays derrière lui.
Camarade président, chiche !
Virer le premier ministre, incapable et technocrate, ou sa clique de ministres dont certains, tel Muriel Pénicaud, seront de toute façon contraint par la Justice à rendre leur tablier, ne changera pas grand chose. Si Macron pense que son programme de classe est toujours valable et validé par les Français, qu'il le re-soumette au vote populaire.
Ami macroniste, ... chiche.