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félicité

Publié le 08 décembre 2018 par Modotcom

félicité
la vie vient à moi
à grands coups de panache
avec une rockstar de mari
et une porsche carrera
et un clan lo bien constitué
une descendance vive et douée
des parents en bonne forme
dont une branche maternelle qui pète le feu
et tout le latéral et l'élargi
de bonne humeur
je vis entourée d'art
de beauté de poésie et de bonne bouffe
à ma place
vous baigneriez dans la félicité
j'ai cinquante-et-un ans
et si j'y suis maintenant
c'est bien parce qu'il y a cinquante-deux ans
le six décembre mil neuf cent soixante-six
pa' et ma' se mariaient
et quelques mois plus tard
un médecin suisse les dissuadait
de m'avorter
à force je les ai suivis
à les voir trimer dur sans arrêt
sans avoir froid aux yeux
et en étant tout le temps heureux
heureux d'avoir la chance de vivre
heureux de rencontrer des gens
heureux de pouvoir apprendre
et de se cultiver
heureux de pouvoir faire des choses
de s'entraider
d'élever une famille
peu importe le prix et les frocs usagés
je les ai suivis
ces immigrants de première génération
et je suis devenue une obsédée de l'action
de la débrouillardise et du progrès
assez que j'ai la tête dans le cul
un vrai vortex mental
dont je n'ai même pas réussi à sortir
ces jours-ci
pour me rendre compte que c'était décembre
le temps de la charité
de la bienfaisance
le temps de la guignolée
alors que des gens généreux
se déguisent en lutins
pour recueillir des sous
pour les moins félicités que moi
il y a des limites à vouloir être meilleur
il y a la limite de la respiration
il devrait y avoir des arrêts obligatoires
je ne sais pas comment dire
je devrais prendre des poses
pour profiter de ce que j'ai
des gens autour de moi
autant que de la vie point
jeudi matin j'étais résolue à ne pas me laisser abattre
et je suis descendue à l'agence
acheter des cactus
pour la cueillette de fonds de centraide
organisée par les dames de la condition féminine
et j'ai mis du vert dans mon bureau
et mon voisin par dessus le paravent
se lève maintenant et
étire le bras pour caresser les cactus
jeudi soir en allant à l'université
terminer le travail de session avec la gang 
je me suis arrêtée pour acheter des biscuits belges
et gaver mes coéquipiers de bon sucre et de beurre
pour affronter ensemble
le sprint final
on a travaillé jusqu'à la fermeture
je n'ai pas encore relâché
on présente au conseil ce matin
à midi le gros sera passé
il ne restera qu'un examen de quatre heures
le dimanche seize décembre
j'aimerais savoir arrêter
me dire que j'en ai assez
me dire que j'ai tout ce qu'il faut
que je pourrais me contenter de lire
tous les livres de la bibliothèque
pour occuper mes autres jours
il y a possiblement un juste milieu
une vitesse que je n'ai pas encore trouvée
sur le shifter
et probablement que si je n'avais pas été
aussi en mouvement
si je n'avais pas été bien élevée et bien entourée
je ne serais pas non plus
encore en train de bouger
j'évolue et j'organise le chaos
les chinois sont plutôt opposés
ils trouvent le mouvement dans le calme
l'énergie dans la sérénité
un jour j'y parviendrai.
en image : la spirale de la félicité chaotique.


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