Si Adeline Dieudonné n'avait pas eu, cette année, le Prix Rossel - "le Goncourt belge", comme on l'appelle parfois -, on aurait eu un sentiment d'inachevé, ou au moins que le jury serait passé à côté de quelque chose. Il n'en a rien été, je m'en réjouis. Sans avoir jamais rencontré la romancière, j'avais écrit l'autre jour un portrait d'elle basé sur nos divers échanges et ce qu'on a pu lire d'elle un peu partout - car elle fut, dans cette rentrée littéraire, le chouchou des libraires, des lecteurs, des jurys, des ventes, que sais-je encore? Le voici.
Cherchez une photo d’Adeline Dieudonné sur laquelle elle
ferait la tête : vous n’en trouverez (probablement) pas. Partout, au moins
en public, elle semble détendue. Il faut la pousser un peu pour lui faire
avouer que, oui, elle connaît le trac. Mais, à l’évidence, elle le maîtrise,
peut-être grâce à l’expérience des planches. Elle est passée par l’impro, elle
joue seule en scène Bonobo Moussaka,
le monologue qu’elle a écrit.
Adeline Dieudonné a été invitée par François Busnel dans La grande librairie, la désignant comme
la révélation de la rentrée. Il ne s’était pas trompé, ni en la posant sur le
même plateau qu’Amélie Nothomb, habituée de l’émission et autre révélation
belge d’une rentrée littéraire (en 1992). Chez Busnel comme chez Ruquier, on l’a vue pareille à ce qu’elle doit être
dans la vie. Nature, sans complexes, prête à toutes les questions. Il devait
quand même y avoir un certain soulagement dans la phrase qu’elle a lâchée après
On n’est pas couché : « Ca, c’est fait ! »
Amélie Nothomb pourrait être sa marraine en littérature.
Mais c’est d’un autre écrivain belge qu’elle cite toujours le nom quand on veut
savoir par qui elle a été influencée : Thomas Gunzig, pour le mélange
d’émotions, l’étrangeté, le ton grinçant, la jubilation dans la noirceur. Dans
la plaisante logique qui articule parfois les vraies vies dans les moments où
tout réussit, Thomas Gunzig, lauréat 2017 du Prix Filigranes, présidait cette
année le jury du même prix, pour couronner… Adeline Dieudonné !
Si vous voulez lui faire plaisir et rester sur le terrain de
la littérature, parlez-lui aussi de Stephen King, créateur d’atmosphères
romanesques pas très éloignées de celle qu’on trouve dans La vraie vie. Si le ton de l’écriture n’était parvenu à y rendre
les choses plus légères, le livre ferait fuir en courant bien des lecteurs. Au
fond, on n’est pas surpris que l’environnement sonore de son travail
d’écrivaine soit celui d’un metal
violent…
Avant le roman, elle a pratiqué la forme plus courte de la
nouvelle, primée d’ailleurs par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle y a
gagné, pense-t-elle, une certaine discipline : « C’est comme une pratique sportive. Avant de s’attaquer au
Mont-Blanc, j’imagine qu’il vaut mieux avoir fait le signal de Botrange. »
A l’en croire, Lavraie vie n’est pas encore l’Everest non plus. Ou, au moins, ce n’est pas
parce qu’elle gravi la montagne une fois que ce sera plus facile au moment de
recommencer : « Je me sens
toujours aussi démunie face au travail d’écriture, l’angoisse est toujours
présente, j’apprends juste à la gérer. Et il me reste beaucoup à
apprendre. »
Au cours de ce bel automne, elle a atteint d’autres sommets,
ceux des meilleures ventes. Une semaine, Amélie Nothomb était en tête, la
semaine suivante, c’était Adeline Dieudonné. Voyez comment les romancières
belges font bien les choses – et plaisent à la France.
Bien sûr, on peut craindre que le succès lui monte à la tête.
Mais cela ne semble pas son genre et la conversation que nous avons eue il y a
deux jours ne laissait rien paraître de tel. Elle connaît en tout cas les
limites de la célébrité littéraire : « Pour
un auteur je crois que ça reste relativement limité. En revanche ce qui me fait
immensément plaisir c’est la liberté qui va avec la reconnaissance. »
Car elle pense à la suite. Il y a quelques
semaines, elle pestait déjà de ne pas trouver le temps, entre deux salons,
trois librairies et quatre interviews, de travailler à son prochain roman.
Patience, Adeline…