Désormais ce n'est plus le cas : se faire encrer est passé dans les mœurs, revêt une valeur esthétique. On devient une œuvre d'art vivante, réalisée par un artiste plus ou moins réputé, souvent cher. Mais que faire de cette œuvre après sa mort ? Le tatouage doit-il suivre son propriétaire dans la tombe pour s'y décomposer ? Ce dernier peut-il le vendre ? Le transmettre à ses héritiers ?
Traitement post mortem des tatouages en trois exemples
La question fait débat et depuis longtemps. Outre le cas atroce des peaux tatouées de déportés récupérées par les nazis dans les camps de concentration ou l'exemple plutôt loufoque du film Le Tatoué avec De Funès et Gabin, on peut citer trois cas spécifiques et sérieux de récupération et de traitement post-mortem des tatouages, avec des finalités différentes :
- La collection de peaux tatouées du Musée de Pathologie de Tokyo a été montée par le Docteur Fukushi à partir de 1926 (voir photo ci-dessous), un passionné du sujet qui a récupéré et conservé une centaine de peaux, majoritairement prélevées sur des yakuzas. Ce médecin n'hésitait pas à monnayer ces peaux, voire à payer les tatoueurs pour ensuite avoir un droit de regard sur les œuvres. Dernièrement le département a pris contact avec le grand tatoué australien Geoff Ostling pour négocier son derme, ce dernier n'est pas hostile au projet mais il veut être conservé en intégralité, étant tatoué partout sur le corps et pas seulement sur le périmètre habituel des yakuzas qui exclue les mains, les pieds et le visage.
- Connu pour son approche provocatrice, l'artiste belge Wim Delvoye a tatoué Tim Steiner en 2008 (voir photo ci-dessous), tatouage immédiatement vendu à un collectionneur allemand par le biais de la galerie De Pury et Luxembourg pour la somme de 130 000 euros. Le montant de cette vente, la première du genre sur le marché de l'art, a été répartie entre le créateur, la galerie et le tatoué qui a empoché 43 000 euros. En contrepartie, il est tenu d'exposer son dos trois fois l'an selon les conditions dictées par l'acheteur qui peut revendre ou léguer cette œuvre comme il l'entend et la récupérera à la mort du porteur.
- Aux USA, la National Association For Preservation Of Skin Art, association portée sur la sauvegarde du tatouage artistique a lancé le projet non lucratif " Sauve mon encre " qui consiste à dépêcher un embaumeur sur site dans les 18 heures suivant le décès d'un tatoué pour en extraire et en préserver le tatouage, qui sera ensuite éventuellement encadré ou non, mais dans tous les cas, transmis à la famille qui conservera alors ce souvenir. Une manière particulière de demeurer avec son entourage par-delà le trépas.
La législation française est sévère et punitive !
Le monde du tatouage est petit et au fait de chaque nouveauté en la matière ; bien évidemment, ces cas ne sont pas restés dans l'ombre et ont largement interpellé les tatoués français qui s'interrogent sur le devenir de leurs ornements, la possibilité de les transmettre dans leur succession, d'en faire commerce éventuellement ... mais ils devront malheureusement se passer de semblables services. Car la loi française veille, farouchement, sur l'intégrité du corps, ante et post portem.
Outre le respect de la dépouille dictée par l'incontournable article 16-1-1 du Code civil, les lois bioéthiques de 1994 fournissent au législateur tout un arsenal pour invalider un contrat comme celui conclu par Tim Steiner. Selon l'article 16-5, le corps humain, s'il peut fait l'objet de dons à des fins thérapeutiques ( don d'organes, don du corps à la science ...) ne peut être perçu comme un objet commercial (selon l'article R1211-49 du Code de la santé publique, ne peuvent être vendus que les cheveux, les ongles, les poils et les dents ... ainsi que le lait maternel).
Par conséquent, il est totalement illégal de vendre son tatouage, encore plus de le faire prélever après sa mort pour le remettre à un collectionneur ; c'est ce point surtout qui est frappé d'interdit. En l'état, la transaction réalisée par Delvoye, son galeriste, son " support " et l'acheteur, n'a aucune valeur en France comme dans d'autres pays d'ailleurs où ce type de dépeçage est prohibé. Et si d'aventure un Français venait à signer ce type de contrat à l'étranger, ce document n'aurait aucune validité non plus, le contractualisant étant soumis à la législation hexagonale. Pire, tout contrevenant risquerait 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende.
Des pénalités qui font réfléchir, même si le statut de l'artiste tatoueur évoluant très vite au gré d'une véritable démocratisation de cette discipline, le devenir de ses œuvres devrait progressivement poser problème.