Je te dis moi que la réprobation ne durera que le temps d'une ondée, quelques jours au plus, et qu'il n'y aura pas beaucoup de honte.
Le recueil de Jean-François Sonnay et un de ses textes tirent leur titre de ce bout de phrase: Il n'y aura pas beaucoup de honte, dans le cas d'une infidélité involontaire.
Cet extrait donne le ton. Celui d'un moraliste qui, confronté à la réalité, sait bien que les grands principes auxquels les hommes prétendent obéir sont vite oubliés dans la vraie vie.
Dans La cour des petits, il revient sur la honte mais dans un cas différent, celui de la lâcheté, et fait cette remarque: Il n'y a pas de honte dans le troupeau. C'est une responsabilité que seules portent les personnes...
Le premier récit, De bonne guerre, est dans cette lignée d'écriture, puisque l'auteur y recense les noms de combattants et de batailles donnés à des lieux de la capitale française:
Le fait est qu'à Paris on chemine sous le vocable de nombreux généraux et de nombreuses victoires, mais que les victimes de la guerre sont infiniment plus discrètes...
Dans La guerre dite antidrogue, il ironise: Dans toute guerre, il y a une part de morale et la guerre, comme la morale, requiert des choix. Les hommes civilisés sont heureusement dotés d'un cerveau pour analyser, réfléchir et se déterminer.
L'auteur qui a été engagé à plusieurs reprises dans l'action humanitaire ne se fait guère d'illusion sur les individus de l'espèce humaine:
Qui n'ont pas leurs pareils pour exterminer les espèces qu'ils jugent inutiles ou nuisibles et qui se pincent le museau en face de leurs semblables dits mal léchés... (Geste du coucou geai)
Il compare l'homme aux autres animaux dans Conte de la ménagerie (dont la morale est qu'expérience faite, il apparaît de moins en moins convenable, politiquement parlant, de déterminer quel animal serait le plus formidable sur terre):
Quant au plus dangereux, toutes catégories confondues, l'homme n'a pas encore trouvé son maître.
Il ne se fait pas plus d'illusion sur ce qu'ils racontent sur eux-mêmes, ou leurs aïeuls, après coup. Il écrit ainsi dans La fausse légende des ours de Berne:
Volontiers manipulée par des gouvernements en mal de légitimité, l'histoire, la grande comme la petite, se mêle souvent à la légende quand elle ne s'y réduit pas.
L'exigence morale qu'il apprécie toutefois dans l'histoire d'Alma n'est pas qu'elle condamne le vice pour promouvoir la vertu comme certaines polices religieuses, mais qu'elle met en cause les préjugés qui ne font voir que bien et mal là où précisément la raison se perd...
Il ne faut pas croire qu'il soit pour autant dépourvu d'humour. Il en administre heureusement la preuve dans Fanfaronnade où, à deux reprises, il semble que de fumer la pipe lui ait permis d'avoir une influence sur la circulation aérienne... Cependant il ne se risqua jamais à ce petit jeu une troisième fois:
Les miracles sont trop précieux pour être transformés en trucs ou en calculs de probabilité.
Il y a deux textes qui parlent de l'anonymat. Dans l'un, Conte de l'homme piano, un prodige qui joue de cet instrument ne présente plus d'intérêt à partir du moment où est découvert son vrai nom et ce qu'il est:
Le rêve était brisé, ce n'était donc qu'un mauvais rêve, et on se dépêcha de passer à autre chose.
A contrario, c'est l'anonymat, dans Légende de l'affiche, laquelle représente les yeux exorbités d'un enfant affamé, misérable, qui indispose: Être humain, c'est être reconnu, avoir un nom, être respecté. On n'achète pas l'humanité, pas plus qu'on ne rachète l'inhumanité.
Dans l'ensemble de ces textes, l'auteur est donc, d'expérience, critique à l'égard des hommes, voire désabusé. Même si on comprend qu'il le soit, on n'est pas obligé de l'être comme lui, ni autant que lui, mais, pour ce faire, il faut toujours vouloir rechercher et trouver en eux ce qui peut être digne...
Francis Richard
Il n'y aura pas beaucoup de honte, Jean-François Sonnay, 240 pages, Bernard Campiche Editeur