La question flamande
(De notre correspondant de guerre accrédité aux armées britanniques.)
Bruxelles, 2 décembre.
La Belgique retrouve sa vie libre. Elle va reprendre du coup dans la pleine possession d’elle-même la discussion de ses affaires intérieures. Il en est une parmi celles-ci qui est à la première place des préoccupations nationales. Elle demande, pour le repos du royaume, qu’on la tranche de suite, c’est la question de la langue. Nous allons la rappeler.
La Belgique est composée à parts presque égales de Flamands et de Wallons. Jadis, il y a plus de deux cents ans, dans cette partie de l’Europe que tient Albert Ier, la civilisation flamande avait le dessus. Dès le dix-huitième siècle, un déplacement d’influence apparut. La Wallonie, enrichie par l’exploitation de ses mines, gagnait en puissance. Son prestige devint dominant. Les événements de 1830 le certifièrent, la langue des Wallons, c’est-à-dire la langue française, fut officiellement adoptée.
La croissance du prestige wallon n’entama pas la fidélité des Flamands à leur passé et à leur moyen d’expression. Les intellectuels des Flandres, faisant fond de cette solidité de race, ne cessèrent de réclamer, poursuivant l’expression complète de leur originalité, le même développement pour la langue flamande que celui dont en Belgique jouissait la langue française. Vint la guerre. Ici se place ce que l’on appela le mouvement activiste. Nous ne parlerions pas en toute justice si nous ne disions que ce ne fut qu’un épisode sans portée. Envahis, les Belges, Flamands ou Wallons cessèrent la querelle. « C’est une histoire à régler entre nous, déclarèrent-ils. Nous attendrons le départ de l’étranger. » Une poignée d’agités, d’agents de l’ennemi voulurent en juger autrement. « Tous les moyens pour arriver à nos fins sont bons, dirent-ils, même si l’Allemand doit nous aider. Vous, Flamands, qui conseillez la trêve, vous n’êtes que des passifs, nous sommes des activistes ; en avant pour la langue flamande, la main dans la main de von Bissing. » La Belgique entière les hua. La punition les attend.
Ce que veulent les Flamands
Aujourd’hui, en liberté de conscience, chacun reprend ses droits. Que disent les Flamands ? « La langue populaire doit être la base de la civilisation dans tous les pays. La Flandre eut une belle histoire, de grands hommes. Présentement, nous dépérissons. Nous dépérissons parce qu’une instruction supérieure n’étant pas donnée dans notre idiome, les idées générales ne touchent plus notre peuple.
« L’activité wallonne éclairée par les nouvelles méthodes est plus heureuse que celle des Flandres, parce que la Flandre n’a pas d’élite intellectuelle. La question fondamentale de notre mouvement n'est pas de savoir si on doit choisir entre le français et le flamand, c’est de savoir si la langue française continuera au détriment de l’autre à jouir de la suprématie. Nous réclamons l’égalité. Nous réclamons que les fonctionnaires envoyés en Flandre parlent flamand, nous réclamons la constitution d’une université flamande. »
Ce que disent les Wallons
La Flandre oublie une chose, c’est qu’elle-même est bilingue. À l’exception de la partie populaire, les Flamands parlent français. De plus, il n’y a pas de barrière entre Flandre et Wallonie, beaucoup de Wallons habitent les Flandres, beaucoup de Flamands habitent la Wallonie. Les Flamands ont certes des droits. Qu’ils demandent des fonctionnaires entendant leur langue, tout naturel. Qu’ils fassent fleurir s’ils le peuvent leur langue, nous nous en réjouirons. Mais pourquoi vouloir imposer ces conquêtes par la loi. Nous n’empêchons les Flamingants de pousser chez eux la propagande. Nous leur disons : « Essayez, peut-être arriverez-vous à faire reculer le français, mais n’exigez pas ce résultat d’un acte officiel. C’est dangereux pour l’unité nationale. »
Le Petit Journal, 3 décembre 1918.
3,99 euros ou 12.000 ariary
ISBN 978-2-37363-076-3